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LA FIN D’UN TRAÎTRE

avec violence posa ses lèvres sur celles du collégien. Puis elle courut à un fauteuil près du feu, elle s’assit en retenant Louison sur ses genoux, et, là, elle se mit à le presser avec force contre son sein et à couvrir son visage de baisers fous… C’était du délire. Et elle ne pouvait pas parler… Mais elle souriait… elle était heureuse !

Et les larmes qui roulaient encore de ses yeux n’étaient plus que des larmes de joie. De temps à autre, elle parvenait à murmurer quelques mots.

— Mon enfant… mon enfant adoré… ne reconnais-tu pas ta mère ?

Et ses yeux enflammés de bonheur plongeaient dans les yeux étonnés et confus de l’adolescent. Elle l’examinait, elle scrutait chaque trait de son visage pâli par l’étude, et de plus en plus elle reconnaissait son image… Ah ! qui donc eût osé lui dire que cet enfant n’était pas son fils ? Et d’ailleurs n’y avait-il pas là son cœur pour témoigner ? N’y avait-il pas dans ses veines un sang rugissant pour affirmer que cet enfant était né de son sang et de sa chair ? Ah ! non, personne ne pouvait lui contester la vérité de ses affirmations et encore moins son droit de mère ! Devant elle, c’était son portrait qu’elle contemplait, et lui ne pouvait pas ne pas se reconnaître dans les traits de cette femme étrangère qui lui disait si tendrement et à travers un flot de larmes « mon enfant » !

Louison, troublé, gêné, éperdu presque, considérait d’yeux vacillants cette belle jeune femme dont les baisers et les parfums l’enivraient et le grisaient. Lui non plus ne pouvait parler. Non pas que sa langue fût glacée, mais il suivait intérieurement le travail précipité de son cerveau. Une vague de souvenirs l’emportait et distrayait sa pensée. Avant de parler, il voulait se remémorer le passé, revenir sur des faits ou des incidents et circonstances qu’il n’avait pas oubliés. Cette femme qui se disait sa mère, qui le pressait contre elle, qui l’embrassait avec autant d’amour qu’y peut mettre une mère qui aime son enfant, il l’avait vue une fois et quasi telle qu’il la revoyait… avec ses beaux cheveux dorés ! Et, cette fois qu’il l’avait vue ainsi, c’était une nuit du mois de mai passé, et au pied du gibet de la rue Sault-au-Matelot. Une seconde fois, cette femme lui était apparue dans la maison de ses parents adoptifs, et, chose curieuse, elle avait des cheveux noirs. Mais, à ses traits, à ses yeux, à sa taille — à moins que ce n’eût été par la voix du sang ! — il l’avait reconnue pour celle qu’il avait vue près de la potence. Et il avait pensé que cette femme était sa mère… il l’avait cru ! Enfin, une troisième fois, il l’avait revue comme il passait devant la baraque du mendiant Brimbalon. Là, comme la première fois, elle lui était apparue avec ses cheveux blonds… et elle l’avait appelé… elle lui avait tendu les bras comme au gibet ! Mais ses cheveux en désordre, son visage brisé par la douleur et la fatigue, ses yeux pleins d’éclairs, tout cela l’avait effrayé, et il s’était sauvé.

Enfin, voilà qu’il se trouvait assis sur les genoux de cette femme…

Sévérine ne pouvait deviner les pensées qui affluaient à l’esprit du collégien. Elle continuait de le caresser de toutes les façons, elle ne pouvait pas se rassasier. Et elle ne pouvait pas encore parler, l’interroger, lui demander s’il l’aimait, elle, sa mère, ou lui dire qu’elle l’aimait, lui son enfant ! L’avoir dans ses bras, le serrer contre son cœur débordant de joie et d’amour, semblait suffire à son bonheur. Ah ! tenir dans ses bras, presser sur son sein l’enfant de sa chair… n’était-ce pas toute la vie… tout le bonheur ? N’était-ce pas le ciel, après l’enfer qu’elle avait traversé ? Elle le pensait.

Mais elle voulait l’entendre parler lui, elle voulait savoir s’il aimait sa mère comme sa mère l’aimait. Il fallait donc l’interroger. Car lui ne parlerait pas, il avait l’air si timide et gêné. Souriante, retenant ses pleurs, elle l’interroge enfin, sa bouche contre sa bouche :

— Ne sens-tu pas, mon Louis, que je suis ta mère… ta mère qui t’aime à la folie, ta mère qui ne saurait plus vivre sans toi ? Ah ! mon enfant chéri, si tu savais seulement un peu combien j’ai été malheureuse depuis que je t’ai perdu ! Voyons ! regarde-moi bien ! Ah ! oui, comme tu me ressembles !… Que tu es beau !… Ah ! mon Louis, dis-moi, veux-tu ? que tu me reconnais… que je suis ta mère… que tu es mon enfant ! Dis-moi ! dis-moi, je t’en supplie !

Elle le dévore de baisers…

Lui, enfin, essaye de parler à son tour. Une question brûle son esprit et sa langue depuis un moment. Il demande, toujours craintif, lui, cet enfant, qui aurait tenu devant un homme et sans trembler une arme à feu ou une rapière, et une rapière souvent trop lourde pour sa main encore jeune et faible.

— Est-ce vous qui êtes venue un soir de l’été dernier chez ma mère la Chouette, ainsi qu’on l’appelle dans la ville ?

— La femme de Flandrin Pinchot ?…

— Oui.

— Tu dis : ta mère la Chouette… Mais elle n’est pas ta mère…

— Elle a été si bonne pour moi, elle m’a tant aimé, elle m’aime tant encore… C’était donc vous, madame…

— Tu m’appelles, madame ?…

— C’était vous ?… insista le collégien.

— Pourquoi me fais-tu cette question ?

— Pourquoi ?… Le sais-je seulement ?… Mais vous ressemblez à cette femme, quoique ses cheveux fussent noirs, et cette femme a été méchante avec ma mère la Chouette !

— Mais non… ce n’est pas ta mère ! Non ! non ! mon Louis !

— Et c’était vous, cette femme-là ? demande encore le collégien avec obstination.

— Moi ?…

Sévérine hésite. Dire la vérité, ce sera peut-être éloigner d’elle pour toujours son enfant… Ne vaut-il pas mieux mentir ? Ou, tout au moins, défigurer la vérité, user de quelque subterfuge pour échapper à l’étau en lequel elle pouvait se prendre ? Elle allait essayer.

— Écoute, mon cher Louis : tu dis que cette femme avait des cheveux noirs, qu’elle me ressemblait, qu’elle a été méchante… Tout cela est bien possible. Oui, cette femme pouvait