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LA FEMME D’OR

— Qui est là ?

Alban se sentit mourir. Vivement il se cramponna au bouton de la porte.

— Ouvrez… je veux vous parler ! dit-il d’une voix qu’il ne se reconnaissait plus.

— Qui êtes-vous ? interrogea la même voix… mais une voix de femme.

— Alban Ruel… reporter !

La voix fit entendre une exclamation de surprise.

— Vous venez pour la grande nouvelle ?

La grande nouvelle !…

Qu’est-ce que-cela voulait dire ?

Si encore la voix avait prononcé : la terrible nouvelle !

— Oui… répondit Alban à tout hasard.

— C’est bon. Une minute… le temps de passer un peignoir !

Grelottant de froid, le jeune homme attendit environ cinq minutes. Puis, la porte en s’ouvrant encadra la silhouette d’une femme inconnue.

C’était une grande femme, avec un fort embonpoint, et d’un certain âge.

Elle regarda curieusement le jeune homme qui, tête nue, sans paletot, hagard frissonnait devant elle.

— Qu’est-ce que c’est que vous voulez savoir au juste ? demanda-t-elle en ouvrant la porte davantage.

Alors, l’œil vitreux du journaliste scruta ardemment l’intérieur de l’atelier. Il vit que tout était dans un ordre parfait. Aucun cadavre là où il pensait en voir un ! Les mannequins étaient toujours là, mais ils étaient nus : les robes soyeuses avaient disparu. Il put voir encore le guéridon et sa petite lampe… la même petite lampe, les machines à coudre, la méridienne…

Alors, un peu calmé, il demanda :

— Médine est-elle là ?

— Médine !

— Oui, mademoiselle Buchet !

— Mademoiselle Buchet ? Elle n’est pas ici !

— Pas ici !

— Elle a vendu son atelier !

— Vendu…

— Je suis la nouvelle propriétaire.

— Mais… mademoiselle Buchet ?

— Vous ne savez donc pas ?… Elle est mariée !

— Mariée ! quand ?

— Hier !…

— Mais avec qui ?

— Avec le célèbre criminaliste Jacques Audet !

— Mais c’est impossible !

— Cela est ainsi pourtant…

— Mais quel jour sommes-nous ? demanda Alban au comble de la stupéfaction.

— Vendredi. Dites donc, vous, d’où sortez-vous ?

— Vous dites, vendredi ?

— Puisque c’était jeudi, hier ?

— Jeudi… Sarah Bernhardt jouait LA TOSCA, n’est-ce pas ?

— Ce soir, elle joue la Dame aux Camélias.

— Mais quel rêve affreux ai-je donc fait ? se demanda Alban dans un murmure.

Puis, il s’excusa auprès de la femme, descendit l’escalier sans, naturellement, apercevoir le sourire moqueur de la nouvelle modiste, et s’en alla vers sa pension de la rue Saint-Hubert.

Il s’en allait comme un homme ivre, ou mieux comme un somnambule. Il allait, sans savoir l’esprit martelé par des pensées de folie.

Il trouva sa chambre dans l’état où il l’avait laissée. Sur son lit il aperçut avec surprise son pardessus, son chapeau et sa canne. Il s’en étonna bien un peu. Mais sa tête était tellement malade, qu’il repoussa ces objets et se jeta sur le lit où il s’endormit de suite du plus profond sommeil.


VIII

OÙ TOUT S’EXPLIQUE.


Alban Ruel entendit qu’on frappait dans sa porte. Mais ce bruit lui sembla comme en un rêve. Il essaya d’ouvrir les yeux, mais ses paupières étaient si pesantes qu’il ne parvint pas à les soulever. Il perçut même que sa porte était ouverte très doucement, qu’un pas discret marchait dans sa chambre. Il ne put sortir de sa torpeur.

Mais quand il entendit sa porte se refermer, alors il fit un effort et ouvrit les yeux.

Sa chambre était éclairée par le grand jour. Il se leva. Son premier regard tomba de suite sur les taches de sang et les macules de boue. Mais alors il tressaillit fortement. Il marcha jusqu’à sa fenêtre et considéra avec une vive curiosité mêlés de stupeur les taches de sang.

— Ah ! ça, s’écria-t-il, ce n’est pas du sang !

Il examina plus attentivement les souillures rouges.

— Diable ! murmura-t-il où ai-je passé ? Ce rouge… c’est de l’encre ou de la teinture, ce n’est certainement pas du sang !

Alors, dans une rapide vision, son esprit revécut tous les drames qu’il avait traversés depuis deux jours. Il se retrouva avec les personnages maintenant très fantastiques, de ces drames dont il avait été l’acteur principal. Il revit LA FEMME D’OR, LA PETITE MODISTE, la jeune fille vêtue de bleu, la danse des mannequins, le cercueil rouge et l’affreux colosse dans la citerne, ce colosse qu’il avait tué d’un coup de revolver ! Il se représenta aussi le meurtre de LA PETITE MODISTE !

Alors, il se mit à rire !

— LA PETITE MODISTE… murmura-t-il pensif. Mais je ne l’ai pas assassinée, puisque à cette heure elle est mariée à Jacques Audet !

Jacques Audet !

Ce nom le fit tressaillir.

En jetant un regard distrait sur sa table de travail, il aperçut une enveloppe. Il s’approcha. C’était une lettre.

Ce fut à sa plus grande confusion qu’il lut ce qui suit :

« Mon cher Alban.

« Je tiens tout de suite à te demander de ne pas m’en vouloir, et je pense que tu comprendras que j’ai agi pour ton plus grand bien. Tous les drames auxquels tu viens d’assister et dont tu as été l’un des acteurs, n’étaient