aimé…
— Je vous ai aimé ?
— Et moi je t’aime encore ! Là, est-ce qu’on s’entend ?
— Jamais sur ce terrain !
— Non ? Eh bien ! sur un autre… Viens ici !
— Allez-vous-en !
— Après que je t’aurai dit un mot ou deux !
— Allez-vous-en de suite, sinon…
— Sinon ?
— J’appelle… je vous l’ai dit !
— Ah ! prends garde !
— C’est à vous de prendre garde !
— Nous allons voir ça…
Le reporter marcha ferme vers la méridienne et voulut l’écarter. Il s’aperçut qu’il n’était pas le plus fort ; LA PETITE MODISTE la maintenait de ses deux mains crispées au dossier.
Alors il étendit les bras par-dessus le dossier.
La jeune femme lui souffleta la joue gauche.
Alban hurla, sauta sur la méridienne, l’enjamba.
Mais LA PETITE MODISTE n’était plus là. Et quand le reporter se retourna, la cherchant du regard, il se trouva face à face avec le colosse à barbe noire et à moustache rouge.
— Ah ça ! mon mignon, te voilà encore mêlé à mes affaires ? Mais sais-tu que tu deviens très fâcheux, très embêtant ?
Alban, avec un juron, se jeta sur l’homme.
Un coup de poing sous le menton envoya le reporter rouler près du guéridon.
Ivre de fureur, Alban se releva. Dans ce mouvement il aperçut le revolver à une demi-portée de bras. Il saisit l’arme, la braqua…
Un cri de terreur retentit… il y eut une ruée… deux bras s’enroulèrent autour de son cou.
— Malheureux, ne tire pas !
C’était LA PETITE MODISTE.
Mais il était trop tard : Alban venait de presser la détente. Le coup partit, éclata strident et le jeune fou vit dans un nuage de fumée le colosse tomber !
En même temps aussi LA PETITE MODISTE lui arrachait l’arme fumante des mains et la jetait quelque part. Alban, dans sa crise furieuse, ne put voir où l’arme alla tomber.
Qu’importe ! il avait maintenant la rage de tuer !
Il n’était plus un homme… il était un monstre un fauve de sang altéré !
Il se rua sur la jeune femme, la saisit à la gorge et rugit :
— À toi, maintenant, sorcière !
Il renversa la jeune femme sous lui, serra la frêle gorge !
Et il ricanait ! Il éprouvait une jouissance atroce dans la torture qu’il faisait endurer à cette belle jeune femme qui l’avait trompé ! Il se vengeait à la fin… et avec quels délices !
LA PETITE MODISTE était livide ses lèvres étaient bleues, ses yeux désorbités ! Elle étouffait… elle râlait !
Alban serrait toujours plus fort… il écumait… il jurait… il riait… il était tout à fait fou !
Sur une machine à coudre, à portée de sa main, son regard tomba sur une paire de ciseaux.
Sa main droite s’en empara.
Il ne parlait plus, mais il riait d’un rire de démon !
Il leva les ciseaux, comme un bandit lève le poignard meurtrier.
La jeune femme ferma les yeux.
Et l’arme descendit… conduite par la main du jeune forcené…
Que se passa-t-il ensuite ? Alban n’eût pu le dire !
Il lui sembla qu’il était aveuglé par un déluge de sang… Il se redressa dans un bond de bête aux abois… puis dans un dernier ricanement, il s’abattit aux pieds de sa victime.
VII
LENDEMAIN
Alban Ruel se réveilla en sursaut.
Il frotta ses yeux bouffis, regarda autour de lui avec étonnement.
Où était-il encore ?
Cette chambre étrangère, sommairement meublée !
Ce lit sur lequel il était étendu tout habillé !
Cette lampe à gaz attachée au mur blanchi de chaux !
Était-il encore chez LA PETITE MODISTE ?
Il souleva sa tête lourde très lourde, et ébaucha un geste de stupeur en découvrant ses mains et ses habits tachés de sang, maculés de boue.
Un moment il demeura hébété.
Puis un souvenir terrible bouleversa son esprit malade.
Il se revit, tout à coup, penché sur LA PETITE MODISTE, enfonçant un poignard… non une paire de ciseaux dans le sein de la jeune femme !
Il frissonna.
Cela était-il possible ? Lui, Alban Ruel, avoir commis un meurtre ?… Cela ne se pouvait pas… cela n’avait pas été ! Et pourtant ces mains ensanglantées, cet habit couvert de sang et cette boue !
Mais cette boue… d’où pouvait venir cette boue en cette saison d’hiver ?
Il fouilla encore son souvenir, sa mémoire rebelle… Mais il ne se rappelait rien, hormis la scène du meurtre ! Et encore ce crime monstrueux n’était-il à sa pensée qu’un vague reflet, qu’une vision imprécise, comme ces visions que l’esprit fatigué a perçues dans un rêve !
Tout de même l’épouvante lui serra le ventre. Une sueur abondante le noya, et, incapable de demeurer plus longtemps dans l’incertitude, il se leva.
Devant lui se trouvait un chiffonnier à glace. Dans la glace il regarda. Il recula aussitôt en poussant une exclamation d’effroi : il avait aperçu une figure livide, verdâtre, tachée elle aussi de sang et de boue !
Flageolant comme un homme saoul de vin, il se laissa choir sur le bord de son lit, mit