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LA FEMME D’OR

comme une sorte de grognement sombre. Il sentit que des mains parcouraient son être et le palpaient. Ouvrant les yeux, il vit dans l’épaisse obscurité deux rayons lumineux au-dessus de lui. Cela lui parut les yeux de quelques bête immonde qui s’apprêtait à le dévorer vivant.

Une nouvelle horreur s’empara de lui. Il voulut se dresser, appeler, crier… il demeura immobile, incapable de bouger incapable d’émettre un son.

Quel était donc cet être horrible dont il entendait l’affreux ricanement ?

Il regardait de tout l’effort possible de ses prunelles hagardes. Les rayons lumineux s’approchaient de son visage ils se penchaient, une haleine infecte courait sur son front. Les mains mystérieuses effleuraient sa poitrine, et sur ses joues le jeune homme sentit une chose poilue.

Tout à coup un rire de démon résonna à ses oreilles, et ahuri, croyant vivre un cauchemar de tombe, le jeune homme entendit cette voix creuse et narquoise :

— Ah ! ah !… on t’a jetée dans ma fosse, hein ma chérie ! Tu n’as pas voulu de moi ni de mon amour, mais tu es bien forcée d’y venir maintenant ! Allons ! si nous devons mourir bientôt tous les deux, que la mort te surprenne dans mes bras, tu la sentiras moins !

L’horreur du petit reporter grandit, et une répulsion dégoûtante le saisit à la gorge, quand il sentit deux bras l’entourer et deux lèvres barbues se poser férocement sur ses lèvres !

Cette fois il jeta un cri, mais un cri, assourdi comme en une futaille, ne lui sembla qu’un vagissement de nouveau-né.

À son cri un rugissement répondit et une voix menaçante demanda :

— Ah ! tu n’es pas une femme, toi ! Qui es-tu ?

Deux mains vigoureuses serrèrent sa gorge.

Le reporter râla.

— Parle ! Qui es-tu ? toi qu’on vient de jeter dans ce cloaque ? Toi qu’on me donne comme compagnon de sépulcre ?

— Lâchez-moi ! râla le reporter.

— Hein !… cette voix, s’écria l’autre, le mystérieux habitant de cet égout.

Alban Ruel sentit que les mains inconnues le lâchaient. Une minute s’écoula dans un silence terrible… une minute d’angoisse effroyable mêlée aux senteurs nauséabondes qui s’échappaient de ce trou infect.

Puis sur les paupières alourdies et douloureuses du reporter une vive lumière pesa. Ouvrant les yeux, le jeune homme reconnut que cette lumière jaillissait d’une petite lampe électrique.

Cette lumière brûla ses yeux qu’il ferma de nouveau. Mais l’autre avait poussé un cri de fauve et s’était dressé.

— Ah ! c’est toi, maudit ? cria-t-il. C’est toi qui m’as volé mes amours ! C’est toi, le petit reporter, qui m’as pris ma femme ! Ah ! bien, nous allons rire… regarde-moi !

À demi terrorisé par ces paroles, Alban releva ses paupières. Il poussa un nouveau cri, et, cette fois, par un bond prodigieux, il réussit à se mettre debout.

Mais à l’instant il sentit ses jambes enfoncer dans quelque matière comme de la boue dont la puanteur l’étouffait. Il enfonça jusqu’aux genoux. Où était-il ?

Dans la clarté vague jetée par la petite lampe il eut le temps d’apercevoir des parois suintant d’humidité. Et de suite il pensa qu’il se trouvait au fond d’une citerne, et cette citerne pouvait mesurer six pieds carrés.

Mais son intérêt était attiré surtout par l’homme qu’il voyait ricaner devant lui, et comme lui cet homme enfonçait dans la boue noirâtre.

Si le reporter eût été capable de faire un mouvement, s’il eût eu l’espace devant lui, il aurait fui avec terreur l’apparition qui se dressait.

Car celui qu’il avait pour compagnon d’infortune n’était autre que ce colosse, cette brute à barbe noire et touffue et à moustache rouge… ce fauve qu’il avait surpris à tyranniser LA FEMME D’OR… l’homme qui lui avait heurté le front d’une bouteille… enfin, le mari, le bourreau de LA FEMME D’OR !

Dans un rayon d’éclair Alban Ruel revit la terrible scène de la veille, cette scène qui avait précédé celle dans laquelle on l’avait couché dans un cercueil rouge.

Ses dents claquèrent.

Cet homme avec son rire féroce lui faisait plus peur que la boue qui l’attirait : car, sans cesse, il se sentait engloutir lentement, mais sûrement.

— Ah ! ah ! ricana le monstre, tu me reconnais ? Je suis content… ma vengeance n’en sera que meilleure !

— Quelle vengeance ? demanda Alban l’esprit en désordre.

— Comment ! Penses-tu que tu vas t’emparer de mon bien et que je te laisserai faire sans mot dire ?

— Quel bien vous ai-je pris ?

— As-tu si peu de mémoire ?… Ah ! mais non… tu veux faire l’innocent dans l’espoir que j’aurai pitié de ta jeunesse.

— Vous me connaissez donc ?

L’autre se mit à rire.

— Je te l’ai dit. Mais perds-tu la tête si vite ? Et tu me reconnais bien aussi, n’est-ce pas ?

— Je vous ai vu une fois, je pense.

— Hier soir ? Oui. Mais tu m’as revu ce soir avec une jeune femme, et tu m’as suivi. Tu voulais me prendre cette femme !

— Je ne savais pas…

— Tut ! tut ! tut ! ne m’en colle pas, mon p’tit homme ! Ta p’tite fatuité va trouver à qui parler, enfin ! Ta mère aurait bien dû t’apprendre à te mêler de tes affaires. Te penses-tu un phénix parce que tu es un petit reporter de la petite nouvelle ?

L’inconnu ricanait de plus en plus. Ses yeux noirs brillants d’étranges lueurs se dardaient sur les yeux battus d’épouvante du journaliste.

— Enfin, prononça celui-ci dans un effort, que voulez-vous de moi ?

— Oh ! de toi peu de chose, parce que tu es peu de chose ! Tu es une petite insi-