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LA FEMME D’OR

le plafond s’ouvrir, et dans l’écartement des draperies, chose plus horrible encore, il vit apparaître un cercueil qui descendait lentement.

Ce cercueil était rouge… d’un rouge sang !

Pour ne pas s’écraser, Alban se cramponna aux étoffes violettes et regarda plus horrifié que jamais.

À cet instant il se produisit un fait bizarre dans l’esprit du jeune homme. Il se rappela avoir vu ce cercueil quelque part. Où ? Il se le demandait avec une curiosité qui le tenaillait. Oh ! il se rappelait à présent ! Dans une vision d’éclair il revit LA FEMME D’OR… et successivement il revécut en quelques secondes l’épouvantable drame dont il avait été l’un des acteurs le soir d’avant. Oui, il revoyait le cercueil que les deux menuisiers inconnus avaient si complaisamment fabriqué sous ses yeux ! Il revit le même cercueil dans lequel on l’avait couché ! Mais alors, il avait donc fait un rêve… puisque, un peu plus tard, il s’était vu à deux genoux aux pieds de LA PETITE MODISTE DE LA RUE DEMONTIGNY… Puisque cette jolie modiste lui avait parlé d’amour… puisque à cette enchanteresse il avait voué son cœur et son âme ! Mais, LA FEMME D’OR, qu’était-elle devenue ? Qu’importe ! il se rappelait bien toutes les joies toutes les délices qu’il avait éprouvées auprès de la jolie modiste ! Il entendait encore ses soupirs d’amour ! Il buvait encore ses paroles enivrantes. Il dévorait ses lèvres qui ne lui avaient pas paru être des lèvres humaines ! Il sentait encore les yeux noirs, fascinants, magiques de cette créature fouiller jusqu’au tréfonds de son âme !

Et maintenant quel tableau funèbre, après ces visions angéliques ! Quel concert macabre, après ces chants d’amour ! Quel drame sinistre se déroulait à présent sous ses yeux !

Le cercueil rouge descendait toujours, la marche funèbre vibrait sans cesse et sans cesse les mannequins allaient autour… autour du cercueil, maintenant, qui venait de s’arrêter à deux pieds du plancher, au centre de l’appartement.

À l’instant la musique parut accélérer sa mesure, l’air changeait, se transformait, devenait plus léger plus rapide. Cela devenait peu à peu comme une musique joyeuse qui retentit aux jours de fête. Les mannequins suivaient la musique se resserrant sans cesse autour du cercueil. Dans cette nouvelle vision le reporter croyait entendre des murmures, des chuchotements, des ricanements étouffés.

Tout à l’heure Alban avait pensé atteindre au sommet de l’horreur. Mais il en était loin encore !

Quand il vit les mannequins rétrécir leur cercle autour du monstrueux cercueil, il sentit comme une force surnaturelle qui le poussa hors des tentures. Une main invisible l’entraînait vers le cercueil. Il voulut résister… ses jambes l’emportèrent. Il sentit ses cheveux tomber un à un. Il voulut mourir, c’était préférable ! Mais non… il marchait vers le cercueil, il marchait vers les mannequins qui, à présent, aux accords d’une musique vive dansaient en rond autour de la bière rouge. Bientôt il se trouva à trois pas des danseurs et bientôt son regard halluciné plongea dans le cercueil.

Dans un geste violent il tendit les deux poings en avant comme pour repousser cette vision de spectre ; mais ses yeux désorbités regardaient quand même l’horrible chose ! Qu’était-ce ?

Le reporter se voyait couché dans le cercueil, de même qu’il s’y était vu la nuit précédente. Il était livide, ensanglanté, mort !

Tout à coup la musique cessa mais les mannequins continuèrent leur ronde infernale, et tout à coup aussi il vit, l’un après l’autre, les mannequins se pencher au-dessus de la bière et faire le geste de cracher à la figure du cadavre… à sa figure à lui !

Alban poussa un cri… un cri comme il ne s’était pas cru capable d’en pousser ! Ce fut un cri si retentissant, si terrible que les mannequins s’arrêtèrent étonnés.

Le reporter ne sentait plus la peur dans ses os. À l’outrage qu’on venait de lui faire, ce fut la fureur qui s’empara de lui, ce fut une rage folle, puissante. Il fit un bond, se rua sur les mannequins saisit l’un d’eux, l’éleva

Mais son geste demeura sans suite.

À son tour il fut empoigné, au moment où l’obscurité se faisait subitement autour de lui. La poigne était solide, et il se sentit emporté, emporté comme en un tourbillon vertigineux.

Et il sentait des bras de fer qui l’enserraient, il entendait ses os craquer, d’indicibles douleurs le suppliciaient. C’était une torture sans nom !

Et il allait dans les bras de ce monstre qui l’emportait…

Où ?

Il se le demandait avec une nouvelle angoisse.

Il lui semblait que c’était long… il lui semblait qu’il allait ainsi depuis un siècle !

Et tout à coup, sans transition, il se vit lâcher et il tomba… il tomba…

Il lui sembla qu’il tombait dans un abîme sans fond entre les parois duquel il tournoyait comme une plume !

En dépit du vertige de la chute, Alban ne perdait pas tout à fait ses sens : il se sentait tomber, il se voyait descendre vers un gouffre de noirceur froid, sinistre !

Enfin, le trajet eut un terme. Alban Ruel le reporter de la petite nouvelle venait de s’écraser lourdement sur un sol mou humide et visqueux.

Il perdit connaissance


IV

UN DRAME DANS UNE CITERNE


Non… il n’avait pas perdu connaissance ! Seulement, croyant sa fin venue, sûr qu’il allait mourir cette fois, épuisé par les émotions violentes, épuisé de volonté, épuisé d’énergie, désespéré enfin, il s’abandonnait à la mort et demeurait inerte sur la couche gluante dans laquelle il se sentait enfoncer.

Mais alors, chose étrange, Alban perçut