Hardiment — du moins il se pensait hardi — il marcha encore dans la noirceur. Mais ses mains étendues dans l’obscurité tremblaient étrangement, ses jambes flageolaient, elles amollissaient très vite, trop vite… et il ne parvenait pas à trouver la porte qu’il cherchait.
Il s’arrêta encore une fois en percevant un bruit très insolite. Il écouta. Il crut entendre une musique lointaine douce et mélancolique. Oui, c’était bien une musique quelconque qui jouait cet air triste ! Oui c’était triste à l’excès ! Mais pas le son inconnu il ne pouvait trouver un nom à l’instrument, de même qu’il ne pouvait se rappeler l’air joué. Mais cela ressemblait à une romance qui ne lui était pas inconnue… et pourtant !… Il écouta encore, curieux, très curieux, car la musique semblait se rapprocher. Cela avait un peu le son d’une harpe ! Et maintenant ce qu’il avait pris pour l’air d’une romance lui paraissait une valse… une valse excessivement langoureuse ! Il écoutait toujours. Bientôt, la musique mystérieuse lui sembla tout près de lui.
Déjà la peur le reprenait.
— Oh ! murmura-t-il, dans quel antre mystérieux suis-je venu me prendre ?…
III
LA DANSE DES MANNEQUINS
Bien que la musique se rapprochât encore, les sons n’en paraissaient pas plus forts. Une seule chose : on eût dit que cette musique avait un air ironique.
Et le reporter de la petite nouvelle écoutait, saisi, frémissant, dans l’étouffante obscurité qui l’enveloppait. Et alors, il aurait pu se croire devant un tableau d’Holbein représentant une danse macabre, ou, peut-être aussi, devant la danse fantastique de Saint-Maclou.
En effet, une lumière invisible venait de briller et répandait une mince clarté rougeâtre dans la pièce où il se trouvait. Et dans cette clarté Alban Ruel vit une pièce inconnue, étrangère. Ce n’était plus l’atelier de la PETITE MODISTE DE LA RUE DEMONTIGNY. Non… l’appartement dans lequel il se voyait, sans être plus spacieux, était tendu d’étoffes violettes. Le plafond disparaissait sous une lourde draperie d’une étoffe noire sur laquelle se dessinaient en rouge et en bronze toutes espèces de figures infernales. Les unes riaient, les autres grimaçaient, d’autres semblaient hurler, d’autres encore avec des masques crispés par d’inouïes souffrances, semblaient se tordre comme des serpents écrasés sous un rocher. Et il semblait au journaliste que toutes ces figures, ces êtres étranges, grouillaient, se débattaient rugissaient.
La mystérieuse musique ne cessait pas. Toujours sur son temps de valse, toujours aussi douce et toujours aussi ironique, elle semblait donner la mesure et le mouvement aux êtres monstrueux qui planaient au-dessus de la tête d’Alban Ruel.
Frappé par une indicible terreur et voulant échapper à l’infernale vision, le jeune homme se jeta à plat ventre sur le plancher, ferma les yeux et essaya de boucher ses oreilles. Mais la musique ne perdait rien de sa langueur, elle vibrait toujours. Maintenant, on aurait dit que l’air de la valse se faisait, si possible, plus langoureux.
Et alors l’ouïe du jeune homme fut atteint par un bruit nouveau légèrement assourdi… Ce bruit il ne pouvait le définir. Qu’était-ce ? Il sentit l’horreur courir sur son épiderme. Malgré lui il releva la tête… il fit un bond énorme pour se trouver debout, titubant, les prunelles excessivement agrandies, regardant une chose bizarre, prodigieuse.
À l’un des murs les tentures s’étaient un peu écartées et par l’ouverture le journaliste voyait un mannequin, revêtu d’une robe étincelante par les couleurs vives et par les brillants qui la garnissaient, oui, il voyait le mannequin entrer et se mettre à tourner autour de la pièce en suivant point à point la mesure de la musique. Puis un autre mannequin venait, suivait le premier… Puis un troisième, puis un autre… Dix mannequins bientôt dansaient autour de lui.
Le reporter demeurait médusé, suivant la danse de ses yeux hagards.
Il vit les fantastiques danseurs, sans têtes comme sans jambes, s’unir deux à deux et se mettre à valser. Les cinq couples allaient avec une grâce, une langueur qui tenaient du prodige !
Horrifié et incapable de demeurer le spectateur de cette fantaisie monstrueuse, le jeune homme se glissa entre deux couples et gagna ce point où il avait vu les tentures s’ouvrir pour laisser passer les mannequins. Là, s’était-il dit, il doit exister une porte ! Une porte !… Quand ce serait la porte de l’Enfer… il eût préféré le séjour des damnés à cette salle de danse où il se sentait devenir fou ! Mais derrière les tentures il ne rencontra qu’un mur solide.
Éperdu, suant à grosses gouttes, il se recula dans un coin, espérant dérober sa présence dans les tentures violettes. Quand son regard effrayé se levait vers le plafond, il revoyait toujours les mêmes figures grimaçantes !
Et devant lui, la danse atroce.
— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura-t-il, arrachez-moi d’ici !
Ses dents claquaient, tous ses membres frissonnaient, sa gorge se serrait d’une angoisse mortelle.
Tout à coup, sans transition, l’étrange musique cessa la valse et attaqua une marche funèbre. Les mannequins, comme s’ils eussent obéi à un chef d’orchestre, se séparèrent, et à la file se mirent à suivre les accords de la marche. La musique n’avait plus sa douceur de l’instant d’avant. Elle avait un accent lugubre, elle pleurait, elle hurlait. Les mannequins, toujours à la file tournaient autour de la chambre mortuaire, lentement, comme une procession de fantômes. La clarté rouge avait faibli, et le reporter n’y voyait plus que des formes indécises ; mais il les voyait encore suffisamment et son épouvante ne diminuait pas.
Soudain, au moment où la musique jetait un accord vibrant et rude, le reporter vit