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LA FEMME D’OR

— Certes. Seulement je vous demande votre avis quant au dessin proprement dit.

— Là encore pour décider avec justesse il faut être connaisseur.

— Pour vous aider dans votre choix, figurez-vous telle personne de votre connaissance, revêtez-le de l’une de ces robes, par l’imagination bien entendu, examinez l’ensemble et vous arriverez à juger de la plus belle robe de cette page.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûre.

Le journaliste regarda attentivement la jeune fille sourit et répliqua :

— Si, de mes connaissances, je vous prenais pour modèle ?

— Si vous voulez

— En ce cas, voici la robe la plus belle !

— C’est vrai !

— Je parie qu’elle vous tente !

— C’est encore vrai ; mais je n’ai nullement les moyens de me payer un tel luxe. Voyez toutes ces perles qui la garnissent et cette fine et riche passementerie… Sans compter la façon, cette robe coûterait au moins quatre cents dollars.

— Eh bien ! je vous en fais cadeau !

— À moi ?… La jeune fille se mit à rire avec un air très incrédule.

— Je suis très sérieux. J’achèterai le matériel à la condition que vous fournirez la façon.

— C’est entendu.

— Et dès demain.

— Si tôt ?

— Je vais vite en affaires, c’est ma nature. Ensuite je suis reporter.

— Ah !… mais vous êtes dangereux !

— Dangereux !… Pourquoi ?

— Si vous alliez me mettre dans le journal ?

— Ah bah ! ça vous déplairait tant que ça ?

— Ça dépend de ce que vous direz de moi.

— Les meilleures choses, n’en doutez pas.

— Merci.

— Mais je reviens à notre marché : il n’est pas fini

— Non ?

— Je donne la robe, mais vous…

— Moi ?

— Vous me donnez bien quelque chose en retour ?

— Je n’ai rien.

— Au contraire, vous avez tout !

— Quoi donc ?

— Votre personne !

— Mais…

Alban s’était très penché vers la jeune fille, et elle, toujours souriante et toujours rougissante, s’était un peu reculée.

— Vous avez l’air de me fuir ? dit Alban un peu dépité.

— Non pas.

— Car je vous aime…

— Déjà ?

— Et je veux un baiser de vos lèvres divines !

— Vous allez vite en affaires monsieur.

— Je vous l’ai dit.

La jeune fille ne souriait plus. Et comme Alban s’était penché encore et qu’il avait quitté son siège la couturière s’était retranchée derrière la table.

— Vous avez donc peur de moi ? demanda le jeune homme en riant.

— Vous êtes dangereux !

— N’êtes-vous pas amoureuse ?

— Nous ne nous connaissons pas

— Un baiser suffit pour faire la sauce !

Le journaliste étendit tout à coup les bras par-dessus la table et parvint à saisir la jeune fille à la taille. Il ne pouvait plus contrôler ses sens.

La jeune fille poussa un cri déchirant.

Au même instant un projectile mystérieux traversa l’espace en sifflant, frôla la tête du journaliste et heurta la petite lampe du guéridon. La lampe vola en éclats et l’obscurité se fit.

Alban lâcha prise. Il entendit une course rapide, une porte s’ouvrir et se refermer puis le plus grand silence demeura autour de lui.

Alors le sentiment de la peur le saisit. Tantôt il se croyait seul avec la belle jeune fille, et tout à coup une main invisible lançait quelque chose à sa tête, et, par miracle ou par maladresse de l’inconnu c’était la veilleuse qui recevait le choc.

Il demeura frémissant tant sous la peur qui le gagnait que sous l’ardeur de l’amour qui le brûlait encore.

Il était là, près de la table, debout, prêtant l’oreille comprimant les battements de son cœur n’osant bouger et redoutant sans cesse de recevoir un nouveau projectile à la tête.

Pendant dix minutes il demeura ainsi. Puis, comme le même silence lugubre continuait de régner et que la peur ne cessait de pénétrer plus avant dans ses moelles, il décida de s’en aller. Mais ce n’était pas de dire : « Je m’en vais… bonsoir ! » Il fallait bien trouver une porte pour sortir.

Alban fouilla ses poches avec l’espoir trouver une allumette ; il n’en avait pas. Qu’importe ! il se souvenait que la porte par laquelle il était entré se trouvait en face de lui, et il n’avait que la largeur de la pièce à traverser. S’il pouvait marcher seulement en droite ligne, il arriverait sûrement à cette porte. Aussitôt il marcha sur la pointe des pieds pour ne pas attirer l’attention. Au cinquième pas il heurta un mannequin. Le bruit singulier que ce heurt produisit le fit tressaillir fortement. Le choc avait semblé produire comme un remuement d’os secs qui s’entre-choquent. Il continua d’avancer, les mains en avant dans le noir d’encre. Ses mains touchèrent une chose velue. Il faillit pousser un cri de terreur. Il s’arrêta, recula… et du fait il dévia et perdit son chemin. Un moment il demeura immobile, tendant l’oreille. Nul bruit ! Qu’était-ce donc que cette chose velue qu’il avait touchée ? Il se mit à réfléchir et à passer en revue mentalement les objets si divers qui étaient tombés sous son regard dans l’atelier. Alors il se rappela avoir vu sur le dossier d’un fauteuil une pelisse de femme, ou mieux une mante fourrée d’hermine.

— Allons ! se dit-il pour se donner du courage. est-ce que la peur va me faire faire des bêtises ! La peur ?… je ne connais pas ça !