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LA FEMME D’OR

Oui, c’était ce bloc d’or, dont Jacques Audet lui avait fait la description. Et ce soir-là, Alban Ruel, après s’être couché, rêvait de ce bloc d’or ! Il rêvait de la FEMME D’OR ! Il rêvait qu’elle lui apparaissait comme elle était apparue aux yeux émerveillés de Jacques Audet, lorsqu’il avait été précipité, un soir, dans une cave et sur un monceau d’os humains !

— Oh ! je rêve… je rêve ! se répétait mentalement Alban Ruel.

Et pourtant il frémit.

— Non…je suis éveillé ! se dit-il

Il se souleva sur un coude comme pour s’assurer de la réalité du fait qui se passait. Car il venait de voir la statue bouger ! Car LA FEMME D’OR venait, en accentuant son sourire, de poser un doigt — et quel doigt — sur ses lèvres souriantes.

Et le reporter comprit que cela voulait dire ;

— Silence et discrétion !

Il se dressa promptement pour tendre les bras à cette femme vers laquelle il se sentait attiré par une puissance surhumaine.

Mais il demeura immobile et tremblant dans la soudaine noirceur qui venait de se faire. L’apparition s’était dissipée. De cet instant un énorme silence pesa terriblement sur la tête alourdie du journaliste.

Il demeurait-là, debout, comme statufié, quand il sentit une main chaude et moite — une toute petite main dont il aspira le parfum — saisir l’une de ses mains. Il tressaillit, son sang bouillonna, ses artères battirent, il eut un vertige ! Puis il crut entrevoir un ciel, quand une voix, à peine murmurante, douce, si douce qu’elle n’était qu’un souffle et un souffle plein de parfums enivrants, lui dit à l’oreille :

— Asseyez-vous près de moi, mon ami ! Ah ! comme je vous ai attendu longtemps ! Je désespérais de vous revoir !

La folie monta au cerveau du reporter.

Incapable de prononcer une parole, la gorge étreinte par une émotion indéfinissable, le cœur défaillant, la tête brûlante, Alban jeta les bras en avant comme pour enserrer la taille exquise qu’il devinait, qu’il sentait à sa portée.

Mais rien ! Ses bras ne rencontrèrent que du vide noir !

Un gémissement passa entre ses lèvres. Une effroyable déception le supplicia. Du fond de sa poitrine il sentit monter jusqu’à sa gorge un cri de rage. Mais ce cri s’étouffa. La même voix chaude et caressante disait encore à son oreille :

— Asseyez-vous donc, Alban, vous êtes malade ! Il faut vous reposer ! Ne m’aimez-vous donc pas un peu ?

— Vous aimer !… balbutia Alban. Mais où êtes-vous donc ?

— Près de vous, mon ami… tout près ! Voici ma main que vous avez abandonnée ! Je suis assise sur cette ottomane !

— Sur cette ottomane !… C’était comme l’écho des paroles qu’il venait d’entendre qui s’échappait des lèvres d’Alban.

— Tenez, voici ma main ! reprit la voix inconnue.

Alban, de nouveau, sentit sa main droite caressée par la main fine d’une femme. Un nouveau vertige le fit chanceler.

— Oh ! de grâce, madame, faites un peu de lumière que je vous vois !… que j’adore votre beauté !

— Ma beauté est fatale à qui la regarde !

— Qu’importe ! vous voir encore… et mourir, s’il faut !

— Vous êtes trop jeune pour mourir, Alban !

En même temps il se sentit attirer doucement par deux mains qui le contraignirent à s’asseoir, deux mains qui brûlèrent les siennes. Maintenant il sentait un autre corps humain près du sien, un corps dont la délicieuse chaleur et les discrets parfums l’enivraient davantage.

Il répliqua :

— Mourir dans vos bras, ne serait pas mourir ! Et, cependant, il me semble que je vais mourir… ma tête fait atrocement mal !

— Vraiment ?… Attendez ! Je vais vous servir une liqueur qui fera de suite dissiper le mal et qui, en même temps, stimulera votre amour pour moi.

— Ah ! je ne pourrai vous aimer davantage !

— Attendez !

La main qui serrait la sienne se détacha, l’ombre humaine qu’il sentait près de lui s’éloigna. Dans l’obscurité impénétrable et dans le silence sépulcral qui l’environnait, Alban Ruel tendit l’oreille curieusement. Mais rien ne troubla le silence. Et il se passa à peine une minute que la même voix si troublante disait :

— Prenez ceci, Alban et buvez, cela vous fera du bien.

— Oh ! divinité… qui es-tu donc ?

— Prenez ! Mais vous ne boirez pas tout, car je veux connaître votre pensée !

— Ma pensée ! Ne la connaissez-vous pas tout entière ?

— Qu’importe ! je veux tremper mes lèvres là où les vôtres auront trempé !

— Ah ! c’est un songe de Paradis !

— Ce n’est pas un songe. Buvez !

Le jeune homme saisit le verre qu’on lui mettait dans la main. Il se pencha vivement, colla ses lèvres sur la main, frissonna, porta le verre à sa bouche et but à longs traits une liqueur qui lui parut divine.

— Ne buvez pas tout ! commanda la femme mystérieuse.

— Ô nectar ! murmura Alban. Non… je n’ai vidé la coupe qu’à moitié.

— Merci. La main inconnue prit le verre. Une minute se passa. Puis, de nouveau, la même main prit la main droite d’Alban. À ce nouveau contact il s’écria :

— Dites-moi votre nom, déesse que je ne peux admirer !

— Vous le savez mon nom.

— Je le devine seulement.

— Çà ne vous suffit pas ?

— Non. De vos lèvres l’entendre me sera comme un aveu d’amour !

— Je m’appelle LA FEMME D’OR !

Alban tressaillit violemment. Un souvenir, comme très lointain, traversa son esprit en un choc d’éclair. Il lui semblait tout à coup que cette voix ne lui était pas inconnue.