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LA FEMME D’OR

Il attendit, le cœur battant la charge.

Bientôt il crut percevoir un pas menu l’intérieur.

Un mince rayon de lumière filtra par le trou de la serrure. Le pas se rapprocha de porte.

Puis une voix douce, divinement timbrée, une voix qui fit tressaillir le reporter jusqu’aux fibres les plus reculées de son être, demanda :

— Qui est là ?  !

Il sembla à Alban Ruel qu’il avait entendu déjà cette voix et que cette voix était celle de la FEMME D’OR.

Il se sentit défaillir… Mais, par un effort de volonté, il retrouva immédiatement son audace.

— Madame, répondit-il d’une voix peu assurée cependant, je suis chargé d’une communication très pressée….

— Pour moi ?

— Oui, madame.

Il saisit une légère exclamation de surprise et entendit aussitôt une clef tourner dans la serrure. La minute d’après la porte s’ouvrit.

Le reporter demeura bouché bée devant la jolie petite brunette qui lui souriait.

— Donnez-vous donc la peine d’entrée, monsieur !

Alban Ruel ne bougea pas… Ses regards ahuris se promenaient dans l’intérieur de l’appartement sur un tas d’objets très singuliers pour lui : il apercevait tout le matériel et tous les accessoires d’un atelier de modiste !

Allons ! il s’était trompé de porte, voilà tout !

Confus, gêné, très troublé même devant cette jolie brunette qui ne cessait de lui sourire, le reporter bredouilla quelques excuses, s’inclina assez gauchement, et descendit l’escalier. Il était tellement troublé, ses sens étaient si à l’envers qu’il manqua une marche vers le milieu et dégringola le reste de l’escalier.

Un petit rire moqueur retentit.

Mais Alban ne l’entendit pas… déjà il était dehors, et hors de raison et raisonnement.

Mais de suite la fraîcheur de la nuit le rappela à lui-même.

Il s’avoua qu’il s’était trompé de porte que la mystérieuse inconnue avait disparu par une autre porte que celle-ci.

Il se mit à explorer le voisinage. Mais rien ne put lui confirmer qu’il s’était trompé.

— C’est pourtant la bonne porte ! murmura-t-il.

Distrait, l’esprit très préoccupé de cette méprise, le reporter refit son chemin vers le Théâtre-Français.

Là, il s’aperçut que le théâtre était fermé.

— Diable ! murmura-t-il, quelle heure est-il donc ?

On ne voyait plus que quelques rares passants sur la rue Sainte-Catherine. Le reporter consulta sa montre et constata que la douzième heure de nuit était passée.

— Allons chez Gravel ! se dit-il. J’y trouverai sûrement Lavoie.

— Il n’avait qu’un pas à faire. L’instant d’après il était en train de vider un verre avec l’architecte auquel il racontait sa méprise et sa déconvenue.


III

TROISIÈME APPARITION


— Je commence à croire, dit l’architecte, que notre ami Audet avait raison de dire que cette femme est insaisissable. Mais qui donc peut-elle être ? À coup sûr, nous ne lui sommes pas inconnus !

— Voilà le point qui m’intrigue surtout. Je suis certain qu’elle nous a regardés… qu’elle m’a souri, fit le reporter avec une physionomie perplexe.

— Cela pourrait s’expliquer ainsi, elle connaît Audet et nous sait ses amis.

— Mais pour quel motif se conduit-elle d’une façon si bizarre avec nous ? Si elle désire établir des rapports avec nous, pourquoi fuit-elle dès qu’on l’approche ?

— Elle redoute peut-être les regards ou l’indiscrétion des curieux, et elle tente de t’entraîner chez elle en indiquant le chemin à suivre. Es-tu sûr d’avoir ouvert la bonne porte au moins ?

— Oui… je le jurerais sur mon âme. Il n’y avait pas une autre porte là donnant de plain-pied sur le trottoir. À gauche, c’était l’épicerie ; je suis certain qu’elle n’est pas entrée là. À droite, il y a une étroite ruelle, puis une maison de rapport. Mais cette maison est écartée du trottoir, et pour arriver à la porte d’entrée, il faut monter sur un perron de cinq ou six marches. Je suis encore certain qu’elle n’est pas entrée dans cette maison de rapport.

— Alors, toi, tu es entré chez la PETITE MODISTE ? se mit à rire l’architecte.

— Oui. Et tu vois d’ici la figure que j’ai faite.

— Et elle donc ?

— Je ne l’ai pas beaucoup regardée. Mais je sais que c’est une jolie petite brunette et, ma foi, j’aimerais assez la connaître un peu plus et lui dire un mot d’amour ou deux.

— Reste à savoir si elle s’intéresserait à tes discours amoureux.

— Bah ! pas une fille ou femme ne ferme l’oreille aux roucoulements, du moment que celui qui roucoule sait s’y prendre !

— Cela est possible auprès d’un bon nombre du sexe. Mais il parait que LA PETITE MODISTE DE LA RUE DEMONTIGNY n’est pas de cette catégorie.

— Quoi ! est-ce que tu la connais ?

— Un peu… par ce que m’en a dit ma sœur. C’est la couturière de ma sœur.

— Vraiment ? Pourquoi l’appelles-tu LA PETITE MODISTE de la rue DEMONTIGNY ? N’a-t-elle pas un autre nom ?

— Oui, elle a un autre nom. Mais c’est ainsi qu’on l’appelle à cause de sa gentillesse. Ensuite, si tu l’as un peu regardée, elle est menue, d’une petite taille… oh ! ça ne l’empêche pas d’être très élégante.

— Mais son nom… le vrai ?

— Mademoiselle Buchet.

— Buchet ?

— Oui… elle est française. Mieux que cela, elle est parisienne.

— C’est-à-dire qu’elle l’était.