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LA FEMME D’OR

trouve plus !

— Pourquoi ? interrogea Alban Ruel.

— Parce que je sais cette femme insaisissable.

— Mais si nous fouillons l’hôtel ?

— Non… elle n’est pas femme à se jeter bêtement dans un piège !

— Mais cette femme est donc un phénomène ? s’écria le reporter.

— Ah ! se mit à rire l’avocat, je pense que tu commences à croire à l’existence de LA FEMME D’OR.

J’y crois, et veux-tu savoir une chose ?

— Voyons !

— Je vais à mon tour me mettre à la poursuite de cette femme.

— Pourquoi ? demanda tranquillement l’avocat.

— Pour te l’amener, ou pendue à mon cou et pantelante d’amour, ou pieds et poings liés comme un assassin.

— Et pour prouver quoi ?

— Que le reporter a du policier et du bon, et pour te prouver qu’il n’est en ce monde de mystère dont on ne puisse avoir la clef ! Car, cette clef, c’est ma réputation et la clef de mon avenir !

— Prends garde au panneau ! sourit Jacques Audet.

— Je vais m’y prendre de telle façon que je me moquerai joliment du panneau. Je veux cette femme, je l’aurai. Elle est jeune et belle, audacieuse, mystérieuse, et son amour doit être assez puissant pour faire l’éternel bonheur d’un homme ! Je veux en être aimé !

L’avocat se mit à rire.

— Ma foi, dit-il, c’est ton affaire, et je ne peux faire autrement que te souhaiter succès.

— Merci. Seulement, j’ai besoin d’un renseignement.

— Parle !

— La maison qu’habitait LA FEMME D’OR a été détruite par l’incendie, n’est-ce pas ?

— Oui, juste après l’explosion.

— Ce sont les pompiers qui t’ont arraché du brasier ?

L’avocat esquissa un sourire mystérieux.

— Non, dit-il. C’est une personne inconnue qui m’a remis aux soins des pompiers.

— Tu n’as jamais su quelle était cette personne inconnue ?

— Non. Mais les pompiers m’ont déclaré que c’était une belle jeune femme qui a disparu de suite.

— Alors, ce serait ni plus ni moins ta FEMME D’OR ?

— Je l’ai pensé. Cependant j’avais des doutes sérieux, parce que, en fouillant les décombres de la cave, des terrassiers ont trouvé une quantité d’os calcinés… des os humains.

— Il y avait les squelettes, t’en souviens-tu ?

— Oui, c’est vrai. Mais aujourd’hui que j’ai revu cette femme mystérieuse, je crois qu’elle n’a pas péri dans l’incendie.

— En ce cas puisqu’elle existe, s’écria Alban Ruel avec orgueil, cette femme est à moi ! Vidons, mes amis, une autre bouteille, avant de se jeter dans l’aventure !

Il éclata de rire.

L’instant d’après le garçon de nuit apportait une troisième bouteille de vin.

— À la santé de la FEMME D’OR dit l’architecte en levant son verre.

— Oui… à LA FEMME D’OR répliqua le reporter.

Dix minutes plus tard les trois amis s’étaient séparés.

FIN DU PROLOGUE


PREMIÈRE PARTIE

LA MYSTÉRIEUSE INCONNUE

Chapitre Premier

LA LOGE DU BALCON… VIDE


Deux mois s’étaient écoulés depuis ce soir où Jacques Audet avait narré à ses deux amis, le reporter et l’architecte, l’histoire de LA FEMME D’OR.

Depuis trois jours le Théâtre-Français était assiégé par le Tout-Montréal. Sarah Bernhardt, en tournée, y jouait de son répertoire. L’événement était prodigieux.

Le mercredi soir parmi la foule qui se pressait devant l’entrée principale du théâtre sur la rue Sainte-Catherine, nos trois personnages du prologue venaient de se rencontrer, c’est-à-dire Jacques Audet, Alban Ruel, le reporter, et l’architecte, Paul Lavoie.

L’avocat un peu à l’écart, finissait un cigare tout en laissant flotter un regard vague sur la queue qui serpentait du guichet à la rue.

Alban Ruel et Paul Lavoie venaient d’arriver. et tous deux ayant aperçu l’avocat s’approchèrent.

— Je gage, dit le journaliste, que tu as déjà en poche ton billet ?

— En effet, j’ai pu me caser au parterre.

— Veinard !

— Et vous autres ?

— Mon Dieu ! je n’ai pas été trop malchanceux, répondit le reporter, j’ai pu acheter d’un ami qui ne pouvait venir ce soir, deux billets de balcon. Naturellement, n’ayant pas de… FEMME D’OR, j’ai amené notre ami Lavoie.

— Alors, c’est un HOMME D’OR ! fit l’avocat en riant.

— Vous faites erreur, maître, dit Lavoie en riant aussi, je suis dans une véritable dèche en ce moment.

— Dèche d’amour ? ou…

— Dèche d’argent, cher maître ! hélas…

— Les affaires ne vont pas ?

— Pas du tout une vraie misère !

— Bah les temps sont durs, comme on dit, fit négligemment le reporter. Mais ça va passer.

— N’es-tu pas d’avis, Lavoie, interrogea l’avocat, que le plus veinard est notre ami Alban ? Toujours de l’argent en poche !

— Comment cela pourrait-il ne pas être ainsi ? répliqua ironiquement le reporter.

— C’est justement parce que c’est ainsi que je le dis.

— C’est vrai… un reporter de la petite nouvelle qui court la rue… oh ! c’est une sinécure !

— Et très payante même… sourit l’avocat.