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la corvée

demeuraient à l’écart où eux aussi se communiquaient leur joie, Mariette et Clémence s’entretenaient de leur mère, de leur père et beaucoup aussi de Mrs Lockett pour laquelle elles ne pouvaient trouver assez d’éloges.

Puis Mariette avait murmuré en levant les yeux comme une vierge en extase :

— Clémence, jamais je n’oublierai cette bonne dame anglaise, et toujours je me souviendrai d’elle dans mes prières à Dieu !

— Moi aussi, Mariette, je me souviendrai de Mrs Lockett.

Puis, après un court silence, et tandis que son regard lumineux cherchait la silhouette de Beauséjour qu’elle put voir plus loin debout près de sa tante assise en une bergère, Clémence se pencha à l’oreille de sa sœur et timidement :

— Et lui… Mariette… balbutia-t-elle.

Mariette regarda Clémence d’un œil profond.

Clémence rougit et, plus timidement :

— Dois-je te l’avouer, Mariette, reprit-elle… Oh ! ne me regarde pas ainsi… ne me fais aucun reproche… Tiens, écoute : je l’aime… je l’aime ce beau et brave jeune homme !

Mariette ébaucha un sourire de bonheur, et ce sourire fit la plus grande joie de Clémence.

— Oh ! toi aussi, je t’aime, ma Mariette… je t’aime bien !

Leurs épanchements prirent fin à la vue de Beauséjour qui s’avançait vers elle.

— Mesdemoiselles, dit le jeune homme aux deux sœurs qui lui souriaient avec une grâce charmante, puisque nous devons compter sur la parole du major Lockett, je pense qu’il est à propos de retenir une berline pour cet après-midi. Je vais donc aller faire des arrangements avec un loueur ; puis lorsque Mrs Lockett nous aura apporté l’ordre qui va libérer votre père, nous nous rendrons à la brèche et de là nous prendrons la route de Saint-Augustin.

Toute reconnaissante, Mariette s’écria.

— Ah ! Monsieur, dites-moi si nous pourrons jamais vous payer de retour !

— Mademoiselle Mariette, je ne vous demanderai rien en retour, votre bonheur fera ma joie et sera ma plus belle récompense.

Puis il regarda longuement Clémence… il la regarda avec amour. Elle, confuse et toute prise par une joie intérieure qu’elle n’aurait pu expliquer, laissa tomber ces paroles qu’elle ne put retenir :

— Monsieur, Mariette ne pourrait d’ailleurs vous payer de retour que par des pensées et des paroles de gratitude et aussi par des souhaits de bonheur pour vous et ceux que vous chérissez. Mais moi, qui ai vis-à-vis de vous une dette égale, peut-être pourrais-je vous mieux payer…

Elle se tut brusquement, très rougissante ; elle comprenait, mais un peu tard, qu’elle allait formuler un engagement que, certes, son cœur lui commandait, mais que sa timidité et aussi les convenances, lui sembla-t-il, lui défendaient.

Beauséjour avait compris… Au surplus, le soir précédent, lui et elle ne s’étaient-ils pas un peu compris. Aussi ne voulut-il pas perdre le fruit savoureux qui frôlait ses lèvres : il se pencha vers Clémence et murmura assez haut pour être entendu de Mariette :

— Si votre cœur, Clémence, vous commande de payer ainsi, obéissez-lui sans réserve, puisque ce ne pourrait être que pour votre bonheur et le mien.

Plus bas, la voix tremblante, il ajouta :

— Clémence, je vous l’ai dit, dans deux ans j’aurai terminé mes études, et alors, si vous le voulez encore, je viendrai vous demander le paiement…

Enhardie et fière, aurait-on dit, de l’amour naissant qui lui faisait voir toute une vie nouvelle qui l’éblouissait agréablement, Clémence répondit avec fermeté cette fois :

— C’est bien, Monsieur, je prends votre parole… Vous viendrez et je vous attendrai… Je vous attendrai avec la plus grande joie de ma vie !

— Merci, Clémence, ma parole vous est acquise.

Et, tout radieux, Beauséjour se tourna vers sa tante et dit :

— Ma chère tante, je vous les laisse pour un moment, tandis que j’irai chercher une berline. Vous en aurez bien soin…

Il s’éloignait vivement pour cacher la forte émotion qui le bouleversait.

Mme Laroche le retint une seconde par ces paroles :

— Mon ami, souviens-toi des recommandations de Mrs Lockett… sois prudent.

— Vous avez raison, ma tante. Mais soyez tranquille à mon sujet, je vous l’ai dit hier, mon heure n’est pas venue !