Page:Féron - La corvée, 1929.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
la corvée

Haldimand, c’est que je venais tenter un effort pour faire libérer votre père de la Corvée.

— En ce cas, nous avons eu la même pensée ; car je venais également pour implorer auprès du gouverneur la libération de mon père. Puisqu’il en est ainsi, Monsieur, allons tous les deux chez le gouverneur ; si je n’ai pas vos paroles faciles pour le convaincre, du moins j’ai mes larmes pour l’attendrir.

Beauséjour allait se rendre au désir de la jeune fille, quand il avisa une dame de grande distinction qui venait dans leur direction. De suite Mariette suivit instinctivement le regard du jeune homme, et elle faillit pousser un cri de surprise en voyant la dame. En effet, elle pouvait reconnaître la bonne dame anglaise qui lui avait offert un asile dans sa maison. De son côté cette dame avait d’assez loin reconnu Mariette.

— Ah ! Mademoiselle, fit la dame en s’approchant, j’ai bien envie de vous gronder pour m’avoir désobéi… Et votre sœur qui a osé la même escapade ?

— Ne me grondez point, Madame, supplia Mariette, je suis assez punie pour avoir déserté votre maison. Heureusement que la Providence m’est venue en aide ainsi qu’à ma sœur Clémence. Voici, Madame, ce Monsieur qui a été comme l’ange de la Providence.

Depuis un moment la dame anglaise décochait à Beauséjour quelques coups d’œil scrutateurs. Elle parut trouver ce jeune homme fort de son goût, et la distinction de sa personne lui fit penser que l’inconnu appartenait à une bonne société. Aussi, très curieuse, s’enquit-elle peu après de son nom.

— Madame, répondit le jeune homme avec une belle révérence, je m’appelle Beauséjour.

— Beauséjour !… fit la dame sans pouvoir réprimer un haut-le-corps.

Ce geste de la dame inconnue surprit quelque peu notre ami, mais il n’en fit rien voir et expliqua de suite :

— Madame, laissez-moi vous dire que je m’intéresse beaucoup au père de Mademoiselle ; de ce pas j’allais auprès de Son Excellence pour lui demander de vouloir bien prendre en pitié le père Brunel et de le rendre sur-le-champ à ses enfants et à sa femme qui là-bas en son foyer désert, est bien malade.

— Pauvre homme ! soupira la dame. Voilà Monsieur Beauséjour, une belle et noble action de votre part, mais ne savez-vous pas la nouvelle qui court à votre sujet ?

— Quelle nouvelle donc, Madame ? interrogea le jeune homme qui voyait l’attitude effrayée de la bonne dame.

— Ah ! ça, Monsieur, ne savez-vous pas qu’on vous accuse d’avoir semé des grains de rébellion parmi les corvées, et aussi d’avoir donné la liberté à un être dangereux qu’on avait mis au cachot ? Ah ! j’y pense : on vous soupçonne aussi d’entretenir des relations avec les révolutionnaires américains…

Beauséjour ne put s’empêcher de rire.

— Oh ! ne riez pas, mon ami, ne riez pas, c’est grave, reprocha doucement la dame anglaise. Dès à présent on fait des recherches par la ville pour vous retrouver. Je vous engage, s’il n’est point trop tard, à fuir ces lieux au plus tôt : il serait peut-être même prudent de quitter la cité.

— Je vous remercie, Madame, de me mettre sur mes gardes en m’instruisant de choses que j’ignorais, et croyez que j’apprécie beaucoup l’intérêt que vous nous portez à Mademoiselle et à moi. C’est pourquoi je regrette de vous dire que je ne pourrais suivre votre conseil de quitter la ville sans retard. Voyez-vous, je tiens à accompagner mademoiselle Mariette auprès de Son Excellence pour obtenir la libération du père Brunel. Et j’ai, madame, un très bon argument pour son Excellence, puisque j’ai décidé, s’il faut, de prendre la place du père Brunel à la Corvée.

— Vous à la Corvée ! s’écria la dame anglaise avec une surprise apitoyée. Oh ! malheureux jeune homme, je vois bien que vous ignorez le danger auquel vous vous exposez inutilement. Non ! non ! renoncez à voir Son Excellence… D’ailleurs elle ne vous recevrait pas. Sachez aussi que les Corvées ne sont pas administrées par le général, mais bien par mon mari le Major Lockett.

— Vous êtes Mrs Lockett ? fit Beauséjour en s’inclinant avec respect.

— Oui, Monsieur. Et si Mademoiselle et vous êtes disposés à mettre en moi votre confiance, je pourrai vous être très utile. Mon mari est très bon et ne me refuse jamais les faveurs que je lui demande. Hier,