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la corvée

tez-vous cette chaîne, quand les autres n’en ont point ? demanda-t-elle.

Le vieux l’embrassa et répliqua :

— Ne blâme personne, Mariette, c’est ma faute, je te l’ai dit !

— Non ! moi je crois que c’est cet homme-là…

Du regard elle désignait Barthoud qui s’éloignait le long de la muraille.

— Oui, c’est sur son ordre, avoua le vieux. Mais vois-tu une fois encore, c’est ma faute… je me suis rebellé.

— Ah ! mon père… mon pauvre père s’écria la jeune fille en échappant de nouvelles larmes, il ne se peut pas que cela dure ainsi. Il n’est pas possible que vous restiez ici ni qu’on vous traite davantage comme un esclave. Je vais vous emmener, car ma mère m’envoie vous chercher…

— Ah ! oui, ta mère, ma pauvre enfant… parle-moi un peu de ta mère !

Mariette lui confia la maladie de la pauvre femme, et aussi la longue route qu’elle Mariette, avait faite en compagnie de sa sœur Clémence.

— Et Clémence… tu ne sais pas ce qu’elle est devenue ? Pauvre et chère Clémence… Ah ! tous les malheurs vont-ils m’atteindre en même temps.

— Ne vous inquiétez pas trop, mon bon père, sur le compte de Clémence, car je vais la retrouver. Ah ! elle n’est pas perdue, allez. C’est une bonne dame anglaise qui nous a offert sa protection et nous a emmenées dans sa maison. Moi, trop impatiente j’ai voulu me mettre de suite à votre recherche, et je suis partie. Je me suis bientôt égarée dans la ville. La femme d’un tavernier m’a recueillie. Ici, voyez comme la Providence est bonne ce matin je me suis trouvée en présence de Jaunart…

— Jaunart ?

— Oui, il avait passé une partie de la nuit dans cette taverne. Alors, il m’a parlé de vous, puis d’un sieur Beauséjour et comment ce dernier l’avait délivré d’un affreux cachot.

— Mais Jaunart… tu me parles de lui comme s’il était dans la ville ?

— Il en est parti ce matin, il est parti en m’enseignant le chemin de cette brèche, il est parti pour aller, m’a-t-il promis, veiller sur ma mère. Alors, j’ai cherché cette brèche, et je vous retrouve… Mais comme j’étais loin de penser que je vous retrouverais ainsi avec cette chaîne affreuse à vos poignets !

— Oh ! ne te fais pas de peine davantage, ma bonne Mariette, je ne souffre pas ; je suis tranquille et content. Ah ! si seulement je pouvais te prendre dans mes bras !

La jeune fille esquissa tout à coup un geste d’énergie.

— Attendez, proféra-t-elle, je vais vous faire ôter cette chaîne, moi, et demain je vous ferai libérer, vous allez voir !

Surpris, le vieux la vit sauter en bas de la pierre et marcher vivement et hardiment vers Barthoud. Non moins surpris que le vieux maçon, l’officier regarda venir à lui cette enfant… cette enfant au front chargé de courroux.

— Monsieur, dit Mariette en s’arrêtant à deux pas de l’homme, n’avez-vous pas de pitié dans l’âme et laisserez-vous mon pauvre père ainsi enchaîné !

— Ah ! fit Barthoud avec une surprise simulée, c’est votre père ça, le vieux Brunel !

À deux pas seulement de la jolie brunette, Barthoud pouvait à son aise considérer sa candide beauté, et il ne put dérober dans ses regards le sentiment d’admiration qu’il éprouvait.

Mariette prit cette admiration pour une lueur de pitié, et elle eut confiance.

— Oh ! monsieur, vous allez faire tomber cette chaîne, n’est-ce pas ! Ce n’est pas un meurtrier, mon père, vous le savez bien !

— Non, mademoiselle, sourit Barthoud, votre père n’est pas un meurtrier ; tout de même laissez-moi vous dire qu’il est dangereux. Ne vous a-t-il pas confessé qu’il a osé se rebeller à mes ordres !

— Oui, mais parce qu’on a été inhumain à son égard.

— Erreur, mademoiselle, on a été trop bon pour lui, il a voulu abuser.

— Soit. Mais c’est passé. Détachez ses mains maintenant. Il sera tranquille et calme, je vous l’assure, et il me le promettra à moi. Car il n’est pas méchant mon père…

— Non, monsieur, il n’est pas méchant… Ah ! c’est nous, ses enfants, qui le savons. Jamais il ne nous a dit un gros mot. Il est aussi bon que du bon pain, Monsieur, déliez-lui les mains, c’est trop barbare de le faire travailler ainsi !

— Mademoiselle, je le regrette bien, je ne peux pas me rendre à votre désir.

Au fond, Barthoud était content de voir