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la corvée

— N’êtes-vous pas la sœur de mademoiselle Mariette… la fille cadette du père Brunel qui travaille à la corvée ?

Le nom de Mariette et du père Brunel parut à Clémence une révélation.

— Oh ! Monsieur, s’écria-t-elle avec joie, vous connaissez Mariette ? vous savez où est mon père ?… Oui, je suis bien celle que vous avez appelée Clémence… Je suis la sœur de Mariette que je cherche… Je suis la fille cadette du père Brunel, mon pauvre vieux père, que je cherche aussi.

Quelques perles étincelèrent aux cils dorés de ses paupières.

— J’en étais certain, répliqua Beauséjour, car je vous ai reconnue de suite.

— Vous m’avez reconnue !…

La surprise et la confusion de Clémence redoublaient. Comment cet étranger pouvait-il la connaître et la reconnaître ? Elle attendait une explication, anxieuse et plus troublée.

— Votre père m’a parlé de vous mademoiselle, reprit le jeune étudiant. Il m’a tracé un si éloquent portrait de votre personne comme de votre sœur Mariette, que je ne pouvais ne pas vous reconnaître en vous voyant. De même je reconnaîtrais votre sœur.

— Vous la reconnaîtriez, dites-vous ? Vous ne l’avez donc pas vue, Mariette ?

Beauséjour vit dans ses grands yeux étonnés et lumineux une ombre d’angoisse.

— Hélas ! mademoiselle, je la cherche, ainsi que je vous cherchais.

— Vous me cherchiez !…

— Pour vous conduire à votre père.

— Ah ! vous savez où est mon père ?

Cette fois, l’angoisse fit place à une joie sans nom. Mais aussitôt son regard s’obscurcit sous la passée d’une nouvelle inquiétude, comme on voit un nuage passer dans le ciel bleu.

— Mais avant d’aller à mon père, balbutia-t-elle, il faut retrouver Mariette.

— Nous allons la retrouver. Seulement, mademoiselle, vous ne pouvez pas demeurer ici dans la rue, et vous avez l’air si fatiguée encore !

— C’est vrai, soupira la jeune fille avec un sourire triste. Pourtant, j’étais reposée ce matin quand je quittai la maison de cette bonne dame anglaise, mais voilà bien deux bonnes heures que j’erre çà et là par les rues de la ville où je m’égare de plus en plus. À propos, Monsieur, ajouta naïvement la belle enfant, pourriez-vous me reconduire chez cette bonne dame anglaise ?

Beauséjour sourit.

— Savez-vous son nom ?

— Hélas ! non, monsieur.

— Et la rue où elle demeure ?

— Pas davantage, répondit Clémence en rougissant de confusion.

— Voilà une dame assez difficile à retrouver, quoique, à dire vrai, il n’y ait là rien d’impossible. Mais si vous voulez avoir confiance en moi je sais une dame, mais une dame canadienne cette fois, qui se fera un plaisir de vous donner l’hospitalité et qui vous traitera tout aussi bien que votre mère.

— Mais Mariette ? mon père ?…

— Je sais où travaille votre père… Soyez tranquille quant à lui. Une fois que vous serez à l’abri et sous la protection de personnes qui auront pour vous tous les égards, je trouverai Mariette. Voulez-vous venir ?

Il lui tendit son bras avec une humble galanterie.

— Et où me conduirez-vous, Monsieur ? interrogea la jeune fille quelque peu méfiante.

— Chez ma tante qui habite aux Ursulines, c’est comme ma mère, elle sera aussi comme votre mère. Venez !

Il avait l’air si bon, si généreux, si brave. Clémence, plus gênée, plus confuse, passa son bras tremblant sous celui du beau cavalier. Lui, avisant un poteau de pierre, dit :

— Je vais laisser mon cheval ici, je reviendrai le prendre. Le couvent des Ursulines est tout près d’ici.

Il attacha la bête au poteau, la caressa de la main, lui dit quelques mots bienveillants qu’elle parut comprendre, car elle hennit doucement et encensa de la tête comme pour dire qu’elle attendrait volontiers le retour de son maître.

Bras dessus bras dessous, comme deux amoureux, le jeune homme et la jeune fille s’en allèrent, silencieux d’abord. Puis, Beauséjour se mit à parler de sa tante. Mme Laroche, qui était si bonne…

À la fin, la jeune fille se sentait toute contente, fière et heureuse d’avoir rencontré ce jeune et galant cavalier qui, elle n’en doutait plus, lui ferait retrouver son père et sa sœur. Au fond de son cœur se formulaient mille pensées de reconnaissance