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la corvée

ressait doucement son épiderme. Et content, très content, il remercia le ciel de lui avoir fait trouver un gîte pour la nuit. En même temps il eut une pensée de reconnaissance pour Beauséjour… oui, Beauséjour qui lui avait donné la liberté et aussi… cette bourse qu’il soupesait avant d’en tirer le nécessaire pour payer le brave aubergiste. La pesanteur de la bourse le fit tressaillir… Il la palpa un temps avant de l’ouvrir, il éprouvait même une certaine peur en pensant que cette bourse, pour lui pauvre paysan, devait contenir quasi une petite fortune.

Le tavernier revint apportant une carafe d’eau-de-vie, du pain, du beurre, du fromage et de la viande froide.

— Buvez et mangez ! dit-il à Jaunart avec un sourire compatissant.

— Si vous voulez vous servir à ma santé ? proposa le jeune homme en poussant la carafe vers le tavernier, après qu’il eut empli son propre gobelet.

— Dame ! se mit à rire le tavernier, je ne peux pas vous refuser. Attendez, je cours chercher un gobelet.

Il revint et trinqua.

— Et combien vais-je vous devoir, monsieur, pour le boire, le manger et le coucher ? interrogea Jaunart en ouvrant la bourse de Beauséjour.

— Ah ! bien… ça sera seulement deux chelins, vu que vous êtes un pays !

Jaunart tira une pièce d’or et la posa sur la table.

Le tavernier ouvrit des yeux émerveillés en constatant que c’était une livre anglaise.

Jaunart, sans comprendre, regardait la mine surprise de l’aubergiste. Puis celui-ci, avant de toucher à la pièce, fronça le sourcil et l’on eût dit qu’il avait un fort mauvais soupçon quant à la provenance de cette pièce d’or, et aussi quant à son hôte qui semblait avoir de l’or plein ses poches et qui traînait des haillons ! C’était vraiment extraordinaire.

Alors seulement le paysan crut deviner la pensée du tavernier. Il rougit violemment et balbutia, gêné :

— Je pense, monsieur, que vous pensez mal de moi à cause de cet or ; mais vous vous trompez. Connaissez-vous le jeune sieur de Beauséjour ?

— Hein ! si je connais le jeune et riche sieur de Beauséjour ? Mais je vous crois bien ! Qui ne le connaît pas ce vaillant et généreux jeune homme ?

— Vaillant et généreux… Ah ! oui, monsieur, vous avez dit vrai. Eh bien ! pensez ce que vous voudrez, mais c’est lui qui tout à l’heure m’a remis cette bourse, et c’est lui qui m’a délivré d’un cachot dans lequel j’étais enfermé. Comprenez-vous ?

— Si je comprends… mais oui, mais oui ! Ah ! je vous fais mes excuses… Voyez-vous, de l’or on voit ça si rarement, et puis il y a tant de malandrins…

— C’est bien, monsieur, n’en parlons plus.

Il se mit à boire et à manger sous l’œil stupéfait de l’aubergiste. Seulement, le pauvre garçon avait oublié la recommandation de Beauséjour de ne pas dire à quiconque ce qui s’était passé à la caserne. Certes, on ne pouvait douter de la discrétion du tavernier, mais un oubli là aussi, une parole imprudente, un client de passage, et peu s’en faudrait que l’affaire de la caserne fut connue de la cité entière dès le lendemain, et que les noms de Beauséjour et Jaunart fussent placardés et leurs têtes mises à prix ! Que savait-on ?

Mais Jaunart ne pensait à rien de tout cela. Comme c’était bon de bien boire et bien manger ! Ah ! quelle faim…

Quand il eut été bien restauré, le tavernier le conduisit à la cuisine et lui indiqua le grabat dont il avait parlé. Jaunart s’y jeta lourdement pour s’endormir aussitôt d’un sommeil formidable.

Deux heures de nuit tintaient à un beffroi de la ville…

Lorsque Jaunart se réveilla, il faisait grand jour et beau soleil. Il était environ sept heures. Le tavernier, qui avait promis de l’éveiller à l’aube, dormait encore. La maison était silencieuse, mais au dehors on entendait cahoter les premières charrettes.

Le jeune paysan quitta son grabat, se demandant non sans inquiétude ce qu’il allait faire : prendre le chemin de Saint-Augustin et courir au risque de se faire repincer, ou attendre au soir pour sortir. Un bruit de pas étouffés attira son attention, et ces pas venaient d’un escalier qui, au fond de la cuisine communiquait avec l’étage supérieur. Et dans cet escalier Jaunart vit paraître une jeune fille. Il bondit.

— Mariette ! Mariette ! cria-t-il et mettant ses mais sur ses yeux comme pour les