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la corvée

devint pour l’ouïe du pauvre Jaunart plus atroce que le bruit de la lime, et il sentit sous lui, autour de lui et au-dessus de lui comme un vide infini qui l’engloutissait pour l’éternité. Or, ce bruit que tout à l’heure il avait maudit, il le réclamait à présent, il l’appelait, dut-il en devenir fou.

Le bruit recommença…

Étendu à plat ventre, l’oreille gauche posée contre le sol, une main sur l’oreille droite, il écoutait encore le bruit qui lui semblait venir de sous terre. Et voilà précisément ce qui l’étonnait et agitait follement sa curiosité. Quoi là, sous lui, il y avait donc du vide, de l’espace ?

Tout à coup il fit un bond énorme et se dressa debout, effaré, hagard… La porte de son cachot venait de s’ouvrir… Qui venait là ? Les ténèbres étaient trop épaisses pour y voir quoi que ce fût. Tout à coup encore, un moment il demeurait frissonnant de superstitieuse terreur, il sentit une main saisir la sienne. Il voulut dégager sa main, reculer au fond de son cachot, pousser un cri d’effroi, il fut incapable de rien. Au reste, il n’en eut pas le temps, car une voix soufflait :

— Pas un mot, Jaunart ! Tu es libre ! J’ai scié ton cadenas ! Je suis Beauséjour.

Beauséjour !…

Jaunart ferma les yeux et voulut se laisser choir sur le sol tant il se croyait sous l’empire d’un rêve monstrueux.

Mais la main ferme de Beauséjour l’entraînait, déjà. Il se laissa conduire, chancelant, hébété. Il ne savait plus rien, pas même s’il était vivant ou mort ! Mentalement il se répétait qu’il était fou. Et il marchait de jambes raidies dans une noirceur opaque. Son guide s’arrêta.

— Voici l’escalier, souffla encore Beauséjour, et garde-toi de le faire craquer ! Viens donc, doucement…

Cette fois Jaunart commença de retrouver le sens de la vie réelle, et il se mit à grimper l’escalier à la suite de son sauveur. Là-haut, la salle des soldats était déserte. La porte de la pièce où dormaient les galériens était ouverte, et par cette porte arrivait la blême clarté de la lanterne à la lueur de laquelle les deux gardiens se promenaient. Là commençait le danger.

Beauséjour appuya son oreille à celle de Jaunart et souffla :

— Rampe sur les mains et les genoux à ma suite, sans bruit !

L’étudiant avait refermé la trappe.

— Viens ! souffla-t-il de nouveau à Jaunart.

Les deux jeunes hommes se mirent à ramper vers le mur, ils glissèrent, sous une table, se faufilèrent le long de bancs rangés contre les murs, et, enfin, atteignirent la porte de sortie. Cette porte était légèrement entrebâillée, et ç’avait été le premier travail du jeune bourgeois. En effet, après avoir quitté sa couche de paille à côté du père Brunel, il s’était glissé dans la salle et avant de descendre dans la cave il avait voulu s’assurer s’il lui serait possible de fuir par cette porte. Il eut la satisfaction de constater que la porte n’était fermée que d’un seul verrou que très doucement, il tira. Oui, mais si cette porte grinçait en s’ouvrant !… Il voulut savoir encore, se disant que, s’il avait la malchance d’attirer l’attention des deux gardes, il n’aurait, qu’à se jeter dehors et prendre la fuite, quitte à trouver un autre moyen et un autre jour pour délivrer Jaunart. Encore une fois la chance le favorisa : la porte s’ouvrit doucement et sans bruit.

— Allons se dit le jeune étudiant, laissons-la ainsi, ce sera autant de fait !

Donc, lorsqu’il atteignit la porte, suivi de son compagnon, il n’eut qu’à l’ouvrir un tout petit peu davantage, et les deux jeunes hommes rampèrent dehors. Là, Beauséjour saisit encore une main de Jaunart, qui aspirait l’air de la nuit avec une force inouïe, et l’entraîna à une certaine distance de la caserne. — Puis il s’arrêta et, souriant, dit :

— Eh bien ! Jaunart, tu le vois, tu es libre !

Libre ! Jaunart avait encore peine à le croire…

Il voulut parler, interroger, savoir, ou, tout au moins, remercier celui qui venait de lui donner si habilement cette bonne liberté dont il se sentait tout ivre, mais pas une parole ne pouvait se faire jour dans sa gorge que crispait l’émotion la plus intense. Les yeux clignotants, les jambes molles, les bras ballants, Jaunart regardait Beauséjour avec une stupeur intraduisible… Beauséjour dont il ne voyait que très vaguement la silhouette noire mêlée au noir de la nuit.

Et l’autre reprit :

— Oui, tu es libre, mais il est dangereux de rester ici. Tâche de trouver un gîte pour