— Et qu’il n’avait guère de ressemblance avec les traits de votre excellence, acheva narquoisement Pertuluis.
— Hum ! hum !… fit l’inconnu.
— Hum ! hum !… singea Pertuluis qui ne savait plus que dire.
— Hum ! hum !… se moqua Regaudin, qui ne comprenait pas où voulait en venir l’étrange personnage.
— Hum ! hum !… fit encore l’inconnu narquoisement. Puis, ayant paru méditer, il dit :
— Eh bien ! mes braves, supposez que je suis un autre baron de Loisel. Donc, je suis venu pour vous demander si vos rapières possèdent encore un peu de légèreté sous le pommeau…
— Si elles sont à vendre, voulez-vous dire ? demanda Pertuluis avec un grand calme.
— Si vous voulez l’entendre ainsi…
— Ah ! ça, reprit Pertuluis, il vous faut donc bien à vous des tours et détours pour demander une chose aussi simple !
— Ainsi donc… dois-je entendre…
— Assurément, assurément, souffla Regaudin, si monseigneur y met le prix !
— Hé ! par le cœur du serpent ! s’écria Pertuluis, il importe avant tout que l’affaire soit honorable !
— Oh ! sourit ironiquement l’autre, c’est de toute honorabilité : il s’agit d’empêcher un homme blessé et à demi-mort…
Il s’interrompit pour se pencher vers les deux bravi. Ceux-ci se rapprochèrent également.
L’inconnu acheva en baissant la voix davantage :
— Il s’agit d’empêcher ce demi-mort d’arriver vivant à Québec !
Pertuluis respira bruyamment et demanda à mi-voix :
— C’est un service que vous désirez rendre à cet homme, si je comprends bien ?
— Parfaitement, ricana l’autre. C’est pour lui épargner d’être tué tout à fait, quand il arrivera sous les murs de la ville.
— Ah ! ah ! il est hors les murs… ?
— Il s’en approche.
— Tiens ! tiens ! fit Regaudin, j’avais entendu parler d’acte charitable par mon ancien curé, et, cette fois, je veux être plumé comme coq échaudé si ne voilà pas une action des plus charitables !
— Et l’affaire étant susceptible d’être menée à son bout, reprit Pertuluis, pouvons-nous, non par curiosité mais pour nous mieux guider, savoir le nom du patient ?
— Je ne le sais pas moi-même, répondit l’inconnu. Néanmoins il m’est possible de vous donner des indications qui…
— Ah ! vous ne savez pas le nom, dit Pertuluis, c’est curieux !
— Et bizarre ! fit Regaudin.
— Si vous voulez, sourit l’inconnu. Mais j’ajoute que je travaille pour une personne dont je suis le mandataire.
— Et cette personne ne vous a pas dit… murmura Regaudin.
— Non, elle ne m’a pas dit, répliqua rudement l’inconnu ; et je me suis contenté, comme vous devrez vous contenter également, des renseignements suffisamment détaillés qui vous guideront sûrement.
— Soit, assura Pertuluis, nous nous contenterons. Mais, mon ami, vous oubliez de mentionner la prime…
— Au fait. Il y a deux cents livres à gagner, dont cent livres à l’avance, et cent livres après l’affaire.
— Cent livres et cent livres… parut additionner mentalement Pertuluis. Puis il leva sa figure coupaillée vers son camarade et demanda :
— Que dis-tu, Regaudin ?
— Cent livres me vont mieux que cent coups de bâton !
— Et deux cents livres, ajouta Pertuluis, nous tiennent à boire durant un mois, temps qu’il nous faut pour nous rattraper de ce que nous n’avons pu boire durant cette sacrée bagarre de Carillon !
— Ah ! vous arrivez de Carillon ? interrogea l’inconnu avec un semblant d’intérêt.
— Comment, ventre-de-bœuf ! s’écria avec colère Pertuluis ; est-ce à nous voir dans le piteux état où nous sommes que vous allez penser que nous sortons de la cour du Roi ?
— Si monsieur le baron savait seulement, persifla Regaudin, tous les Anglais que nous avons démanchés là-bas…
— Je vous fais mes excuses, messieurs, sourit l’inconnu. Ainsi donc, l’affaire est bâclée ?
— On la fourre dans le sac, dit rudement Pertuluis, si vous allongez les cent livres convenues !
— Soit, je vous remettrai une bourse tout à l’heure, quand nous serons dehors, afin que les voleurs, si par cas il y a des voleurs ici présents, ne vous causent pas d’ennuis, sachant que vous serez porteurs d’une somme de monnaie qui leur permettrait de se rattraper à leur tour et à leur santé. Pour le moment, je vais vous donner les indications qu’il vous