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LA BESACE DE HAINE

— Ah ! ah ! ricana Flambard, j’ai pensé juste en disant que nous ne nous entendons pas, excellence !

— Expliquez-vous, je vous prie ! dit le marquis avec une sorte de défiance que Flambard saisit de suite dans les regards et l’attitude du gouverneur.

— Monsieur le marquis, voulez-vous me permettre avec vous mon parler franc comme j’ai eu avec le roi ? Car, monsieur, je vous le dis sans fanfaronnade, j’aurais pu aller au roi, et je sais que le roi m’aurait entendu et que je me serais entendu avec lui. Mais sachant que le roi avait ici son représentant et son ministre, et que ce ministre savait aussi bien que le roi rendre justice, je suis venu à lui !

Vaudreuil sourit au compliment et répliqua avec plus de bienveillance :

— Soit, monsieur Flambard, je vous accorde votre franc parler.

— Merci, excellence, vous augmentez de cent pour cent ma dette de gratitude envers vous. Maintenant, je vais droit au fait. Je vous ai dit que madame Vaucourt avait été enlevée et que sa trace n’avait pu être retrouvée ; ceci vous l’ignorez. Mais vous n’ignorez pas l’attentat commis sur la personne de Deschenaux… pardon ! si je ne dis pas « le sieur », j’en suis incapable… attentat dont vous connaîtrez plus tard les causes. Et vous n’avez pas été sans apprendre le suicide de Mlle Pierrelieu…

— En effet, interrompit Vaudreuil, cet événement a fait jaser beaucoup les gens du pays.

— Un événement, monsieur ? Allons donc, ce n’était qu’un incident. L’événement n’était pas encore mûr, et cet événement, c’était la mort de Jean Vaucourt et de sa femme !

— Oh ! oh ! monsieur Flambard, s’écria le marquis de Vaudreuil, êtes-vous bien sûr de ce que vous avancez ? Est-ce que Jean Vaucourt n’a pas tenté de se suicider ?

— Non ! rétorqua rudement Flambard. Voici le poignard qu’une main inconnue a planté dans le sein du capitaine.

Le gouverneur examina attentivement ce poignard.

— Croyez-vous qu’avez cette arme, demanda-t-il au bout d’un moment, on puisse arriver à connaître l’assassin ?

— Voici encore, reprit Flambard sans répondre directement, un autre poignard semblable, comme vous voyez, au premier !

— Oui, admit Vaudreuil, ces deux armes se ressemblent beaucoup.

— Eh bien ! excellence, celle-ci, la seconde, a frappé à mort le père Vaucourt !

— Mais alors, s’écria Vaudreuil avec stupéfaction, vous connaissez peut-être la main qui a dirigé ces deux armes ?

— Je la connais, monsieur le marquis, et c’est pourquoi je suis venu vous demander pleins pouvoirs pour démasquer le personnage.

— Qui est-il ? je le démasquerai moi-même. Car c’est moi, ici, qui suis chargé de rendre justice et de l’appliquer.

— Je le sais, monsieur, et voilà bien pourquoi je suis venu à vous ; je suis venu pour vous demander de me déléguer vos pouvoirs de justice.

— Ne puis-je les exécuter moi-même ? fit Vaudreuil avec hauteur.

— Vous ne le pourriez pas ! répondit froidement Flambard.

— Pourquoi ?

— Parce que vous n’oserez pas !

— Et vous oserez, vous ?

Cette fois Vaudreuil était plus surpris qu’irrité.

— Oui.

— Eh bien ! cria Vaudreuil avec une sourde colère, j’oserai également. Nommez-moi le criminel, et fût-il la plus haute tête du pays, cette tête tombera !

— Bien, je prends votre parole, excellence, écoutez !

Et lentement, froidement, accentuant chaque syllabe, Flambard prononça :

— La main qui a frappé de ces poignards le père Vaucourt et son fils, c’est la main droite du vicomte de Loys, votre lieutenant de police !

— De Loys !… s’écria Vaudreuil en se levant.

Il regarda Flambard avec un air si sceptique, que le spadassin se mit à ricaner avec mépris.

— Ah ! monsieur, je savais bien que vous n’oseriez, dit-il.

— Mais, monsieur Flambard, le vicomte de Loys ne peut être accusé de ces attentats !

— Moi, je l’accuse, excellence !

— Mais comment expliquer que Monsieur Bigot me l’ait recommandé ?

— Monsieur Bigot ! se mit à rire encore Flambard. Tenez, excellence, je vois bien que nous ne nous entendrons pas. Bientôt, j’irai trouver le roi qui, lui, m’entendra !