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LA BESACE DE HAINE

et portant pour tout ornement le jabot de dentelle. Cette fois, devant notre ami les portes du Château s’étaient ouvertes comme d’elles-mêmes, et les gardes et huissiers rangés dans le vestibule, s’étaient inclinés sur son passage. Car Flambard était maintenant fort respecté. C’était un personnage. D’abord on avait appris qu’il avait été à diverses reprises reçu par le roi à la Cour de Versailles, ce que n’obtenaient pas toujours les plus hauts personnages de la plus grande noblesse. Et puis, il faut bien le dire, on le respectait surtout à cause de sa rapière. Pourtant, ce soir-là, Flambard apparaissait sans arme ; mais on savait comment ce prestigieux bretteur pouvait armer sa main. Ensuite, parmi les gardes et huissiers Flambard était reconnu comme l’ami de Jean Vaucourt, capitaine de la maison de M. de Vaudreuil. Et, enfin, mieux que tout cela, Flambard avait le premier l’honneur d’une audience avec le gouverneur ; il passait avant Bigot, avant Varin, avant Péan, avant tous les plus grands personnages de la capitale ! Ce qui n’était pas pour amoindrir son prestige.

Flambard défila donc devant les huissiers courbés et les gardes admiratifs, il passa avec, à ses lèvres, son sourire narquois qui lui était coutumier.

M. de Vaudreuil le reçut dans la salle des audiences, sans témoin.

— Monsieur Flambard, dit-il en offrant courtoisement un siège à son visiteur, j’ai pensé que vous ne pouviez avoir à me communiquer que des affaires de la plus grande importance ; c’est pourquoi j’ai voulu vous recevoir sans retard.

— Excellence, répondit Flambard en s’inclinant, je suis très reconnaissant de cette marque de courtoisie. Je comprends que, comme ministre du roi en ce pays, vous êtes disposé à m’accorder la même bienveillance qu’à diverses reprises notre Bien-Aimé a bien voulu me témoigner. Je vous remercie, et je désire vous assurer de mon dévouement entier et de ma gratitude. Et c’est cette gratitude, excellence, qui me fait venir à vous aujourd’hui, et me fournit l’opportunité de vous mettre au courant de certains faits dont, dans la multiplicité de vos besognes et de vos tracas, vous n’avez pu être informé.

— Se passe-t-il quelque chose d’extraordinaire en cette bonne ville de Québec ? demanda M. de Vaudreuil avec beaucoup d’intérêt.

— Oui, excellence. Mais, d’abord, je me permettrai de vous instruire de la mort de monsieur de Maubertin, si vous ne l’avez déjà apprise.

— C’est vrai, j’avais été informé du trépas du comte l’automne dernier. Pauvre comte, c’était un grand serviteur du roi.

— C’était, après vous, excellence, le meilleur serviteur du roi Louis, et c’était un grand homme dont, je le crains, on ne saura reconnaître les services qu’il a rendus à la France dans l’Inde.

— Je vous crois, mon ami, sourit M. de Vaudreuil flatté par l’éloge délicat que Flambard venait de lui adresser.

— Si vous avez appris le décès du comte de Maubertin, vous n’avez pu apprendre la disparition — je n’ose dire la mort — de sa fille Héloïse, l’épouse de votre capitaine des gardes.

— Ah ! madame Vaucourt serait-elle morte aussi ? dit avec inquiétude Vaudreuil.

— Voilà ce que je ne saurais affirmer. Mais, une chose sûre, elle a été enlevée de sa demeure au mois de juillet dernier, en pleine nuit, par des inconnus. Et comme témoin de ce rapt, j’ai le père Croquelin qui fut bâillonné, garrotté et mis dans l’impossibilité d’empêcher le crime. Monsieur le marquis, madame Vaucourt a été enlevée avec son enfant.

— Avec son enfant ! s’écria Vaudreuil avec surprise. Mais il y a déjà longtemps, si l’affaire s’est passée au mois de juillet ! Avez-vous fait des recherches ?

— J’ai fouillé la ville de fond en comble, inutilement.

— N’avez-vous pas confié l’affaire au lieutenant de police et à monsieur l’intendant ?

Flambard se mit à rire.

Vaudreuil le regarda avec étonnement.

— Pardonnez-moi, excellence, mais je vois que nous ne nous entendons pas. Je vous ai dit que j’ai fouillé tout Québec, hormis quelques maisons que je n’ai pu visiter, entre autres celle de…

Flambard parut hésiter et regarda profondément le marquis.

— Parlez ! dit M. de Vaudreuil.

— La maison de l’Intendant, acheva Flambard.

— Mais vous n’allez pas soupçonner monsieur l’intendant ? se récria Vaudreuil.