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LA BESACE DE HAINE

— La vengeance simplement ? oui, Marguerite, répondit Jean Vaucourt. Mais il est permis, je pense, sans offenser Dieu, de châtier les criminels selon leurs crimes et avec les moyens de justice que nous possédons. Or, ici en cette Nouvelle-France la justice est entre les mains mêmes de ces criminels, et il nous appartient de leur reprendre cette justice, de la leur arracher des mains pour les en frapper sans pitié ! Flambard, rugit Jean Vaucourt, m’entendez-vous ?

— J’entends, capitaine.

— Eh bien ! il faudra châtier Bigot et de Loys !

— Et d’autres… après ceux-là ! gronda le spadassin.

— Ah ! oui, ricana le capitaine avec mépris, il y a ce Cadet…

— Cadet, intervint encore Marguerite, est l’un de ceux qui vous ait fait le moins de mal. D’ailleurs c’est un idiot qui n’a nullement conscience de ses actes, ce n’est qu’un instrument aveugle ! Actuellement, en Nouvelle-France, il n’y a qu’une tête — tout, respect que j’éprouve pour monsieur le gouverneur et ses admirables officiers ! — et cette tête, c’est François Bigot. Tout le reste est son instrument ou à peu près !

— Soit, gronda Flambard, je me charge de cette tête !

— Qu’elle tombe ! proféra Jean Vaucourt.

— Elle tombera… rugit sourdement Flambard avec un geste terrible.

Le capitaine, très fatigué par cette scène, se laissa choir lourdement sur sa couche et ferma les yeux.

— Monsieur Flambard, dit Marguerite, le chirurgien me grondera certainement pour avoir permis une si longue entrevue…

— Je vous comprends, mademoiselle, sourit le spadassin, je me retire de suite.

— Oh ! vous pouvez revenir demain, après-demain, quand vous voudrez, surtout quand vous aurez quelques bonnes nouvelles à nous apprendre !

— Je reviendrai, promit Flambard en s’en allant.


— VII —

CHEZ LE GOUVERNEUR


Ce fut deux jours après que M. de Vaudreuil arriva à Québec. Il n’y venait que pour un court séjour, dans le but de régler certaines affaires importantes. En ces derniers jours de mars, on ne savait pas encore sur quel point du pays se porterait l’offensive anglaise. Ce n’est qu’à la fin d’avril qu’on allait apprendre l’arrivée d’une grosse flotte à Louisbourg, dont quelques vaisseaux allaient remonter le Saint-Laurent dans le but de faire les premières reconnaissances. C’est alors que le gouverneur et ses officiers se porteraient sur Québec avec la principale armée.

Lorsque M. de Vaudreuil venait dans la capitale, il y avait réceptions officielles et réceptions privées, et la liste des personnes qui désiraient avoir audience pour une raison ou pour une autre était préparée bien à l’avance. Cette liste était la première chose qu’on présentait au gouverneur dès qu’il mettait le pied dans la capitale. Le gouverneur prenait un repos de deux ou trois jours, puis il ouvrait la salle des audiences. Or, le jour même que M. de Vaudreuil prit connaissance de la liste très longue des personnages qui demandaient une audience, ayant vu au bas de cette liste le nom de Flambard, il dépêcha un commissionnaire pour prévenir le spadassin qu’il lui accorderait cette audience le soir même. M. de Vaudreuil n’était arrivé en la capitale que du midi, en traîneau et escorté de quelques jeunes officiers canadiens de Montréal.

Si M. de Vaudreuil accordait de suite et la première audience à Flambard, c’est parce qu’il connaissait toute la valeur de notre héros qui, un jour, avait réussi contre bien des coteries puissantes de la cour de Versailles à faire rentrer M. de Maubertin dans la faveur royale. Avec un tel homme c’était un honneur que de compter, et M. de Vaudreuil voulait en outre se ménager un ami dans la personne de Flambard.

Notre héros se présenta donc le soir même au Château Saint-Louis, mais non comme le spadassin fanfaron et audacieux que nous connaissons, mais plutôt comme un bourgeois aisé, vêtu de la culotte de soie noire, d’une redingote de velours brun,