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LA BESACE DE HAINE

personnages qui ont certains motifs de la séquestrer, si ces personnages ne l’ont déjà assassinée.

— Ô mon Dieu ! sanglota Marguerite, pensez-vous qu’on l’ait assassinée ?

— Nous avons tout à redouter de ces êtres sans cœur et sans âme. Mais, mademoiselle, je vous le dis, si madame Héloïse a été assassinée, je trouverai l’assassin ou les assassins et croyez bien qu’elle sera vengée ! Je l’ai juré sur mon âme, ajouta Flambard avec un accent terrible. J’attends la venue de monsieur de Vaudreuil qui, dit-on, sera en la capitale demain ou après-demain, pour lui demander pleins pouvoirs dans les recherches que je veux entreprendre.

— Je comprends que les personnages que vous voulez poursuivre sont haut placés, et vous voulez vous assurer qu’on n’interviendra pas dans vos agissements, vous avez raison.

— Ces personnages, que vous connaissez et soupçonnez autant que moi, sont puissants, et je sais que de se heurter à eux sans influence ou sans pouvoir c’est aller donner contre un mur inébranlable.

— C’est juste. Et de l’enfant, monsieur, demanda encore Marguerite, n’avez-vous non plus aucune nouvelle ?

— Aucune, le mystère s’est fait partout.

— Si je vous pose ces questions, reprit Marguerite, c’est parce que le capitaine ne cesse de s’informer de ces êtres si chers à son cœur. Il me semble avoir perdu le souvenir de la disparition de sa femme et de son enfant, et il les croit peut-être toujours en sécurité dans la petite maison de la rue Saint-Louis. À ses questions, j’ai dû répondre vaguement et le laisser avec la certitude qu’il a. Il serait dangereux, d’ailleurs de lui communiquer brusquement ces malheurs qu’il paraît avoir oubliés durant le cours de sa maladie. Comme il est certain qu’il vous interrogera sur le même sujet, je vous engage à ne pas lui laisser voir la vérité.

— Je ferai comme vous dites, mademoiselle. Néanmoins, s’il lui arrivait de recouvrer soudainement la mémoire, je m’arrangerai pour lui faire entendre que sa femme et son enfant sont aux soins d’amis qui veillent sur eux.

L’instant d’après, Marguerite introduisait Flambard dans la chambre du capitaine.

Celui-ci sourit largement au spadassin et lui tendit sa main maigre.

— Ah ! mon cher ami, s’écria-t-il, j’espère que vous ne m’apportez pas de mauvaises nouvelles d’Héloïse et de mon petit Adélard ?

— Aucune mauvaise nouvelle, capitaine. Observez, se mit à rire doucement Flambard, que je n’aime pas jouer le rôle de messager de malheur. Ce que je vous apporte aujourd’hui, c’est l’inquiétude de vos amis qui se demandent quand vous pourrez quitter votre couche de souffrances et reprendre le fil de l’existence en retrouvant les joies du foyer.

— Mon cher ami, répliqua le capitaine, comme vous le voyez, je suis beaucoup mieux. En peu de jours je serai tout aussi fort qu’avant, et avant trois semaines, comme on me le fait espérer, je pourrai quitter ce toit hospitalier.

— Trois semaines, pensa Flambard… Aurai-je le temps de retrouver Héloïse et son enfant ?

Il tressaillit. Mais il ne laissa rien paraître de ses inquiétudes intérieures en écoutant Jean Vaucourt qui continuait :

— Ah ! il y a longtemps que je serais sur pied, si ça n’avait été du coup de poignard de ce traître et de ce lâche qui a failli me tuer net !

— À propos, dit Flambard, n’avez-vous jamais soupçonné qui avait été l’auteur de ce coup de poignard ?

— Qui pouvais-je soupçonner, mon ami, surtout en ce lieu ? Mais vous ne savez pas la surprise que j’ai éprouvée hier, lorsqu’on m’a montré l’arme avec laquelle on avait pensé que je m’étais frappé moi-même ? Vous allez voir…

Il glissa une main sous son oreiller et en tira ce poignard marqué des lettres F. L.

— Regardez ! ajouta-t-il.

Flambard reconnut la lame.

— Le même poignard que j’avais trouvé enfoncé dans la poitrine de votre père, dit lentement Flambard en examinant l’arme avec attention.

— Et le même que j’avais découvert dans cette besace du père Achard, près des ruines de l’habitation de madame de Ferrière.

— C’est-à-dire, corrigea Flambard, que c’étaient deux poignards tout à fait semblables. À l’heure qu’il est le père Cro-