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— Nous avons trouvé un gîte au bon moment, murmura Pertuluis.

— Il faut croire que le bon Dieu ne nous a pas oubliés tout à fait.

— Oui, mais faut-il dire que j’avais promis avant-hier deux messes si nous trouvions un gîte.

— Deux messes ! s’écria Regaudin. Comme ça se trouve… j’avais promis également deux messes le jour d’avant-hier.

— Ce qui fera quatre, dit avec satisfaction Pertuluis. Heureusement que nous sommes tombés tout droit sur le chemin du sieur Deschenaux.

— Décidément, c’est un bon diable, déclara Regaudin, et je ne lui garde plus rancune.

— Ni moi.

— Pourvu, reprit Regaudin, qu’il nous donne suffisamment pour payer nos quatre messes.

— N’a-t-il pas promis mille livres ?

Regaudin se mit à rire.

— Est-ce pour lui montrer l’envers de la peau de ce coquin de Flambard que, j’espère, le diable a dû étriper à quatre !

Cette réminiscence fit rougir de confusion Pertuluis qui grogna :

— Je regrette bien de ne l’avoir pas pourfendu de haut en bas ! N’importe ! N’as-tu pas souvenance d’hier au soir, Regaudin ?

— Si je n’ai pas souvenance ? Biche-de-bois ! je crois que si… ma tête en est toute pleine !

— Et de Deschenaux ?

— Tiens ! c’est vrai. Je dois avouer que cette fumée de l’âtre jette quelque brouillard dans ma mémoire. Donc, le sieur Deschenaux. …

— N’a-t-il pas promis mille livres si nous pouvions lui retrouver cette jeune femme…

— Biche-de-Biche ! s’écria tout à coup Regaudin en se frappant le front. S’il nous l’a promis ? Je crois bien. Je n’ai fait que rêver à cette jeune femme et à ces mille livres, si bien que j’ai encore tous les yeux épanouis de la beauté de cette jeune femme et du rayonnement des mille livres d’or !

— Et bien, moi, j’ai fait mieux que rêver, j’ai observé !

— Oh ! oh ! n’as-tu pas dormi la nuit passée ?

— Pas un pouce, répondit Pertuluis.

— Ah bah ! Pourquoi, ce matin, ronflais-tu à faire lever le toit ?

— Pour faire croire que je dormais. Je regardais et j’écoutais.

— Que diable entendais-tu dans le bruit de cette tempête, et que regardais-tu dans le noir d’enfer qui nous enveloppait ?

— Je voyais d’abord la mère Rodioux et la Pluchette sortir de leurs chambres. Puis, tandis que la Pluchette ranimait les braises du feu, la mère Rodioux allait dans sa taverne quérir un flacon d’eau-de-vie. Ensuite elle faisait un mélange quelconque qu’elle faisait chauffer, puis elle ajoutait du sucre, versait le tout dans une tasse et disait à la Pluchette :

— Fais-lui boire ça !

— Biche-de-bois ! fit Regaudin très intéressé. N’était-ce pas pour toi ou moi ce mélange ?

— Non, répondit Pertuluis. C’était pour une voix plaintive qui partait ou de la chambre de la tenancière ou de celle de la servante.

— Une voix plaintive… Tu as bien dit une voix plaintive ? demanda Regaudin très ému.

— Une voix plaintive de femme, Regaudin… de femme, entends-tu ?

— Si j’entends ? Je crois bien. Même qu’il me semble à t’entendre voir cette belle jeune femme…

— Dont nous a parlé le sieur Deschenaux.

— Mais si, par hasard, cette jeune femme était précisément celle que nous sommes chargés de retrouver, comment se peut-il faire qu’elle soit sous le même toit que nous ?

— Voilà ce que je ne saurais expliquer, mais que je saurai expliquer à coup sûr pas plus tard qu’aujourd’hui.

Puis, brusquement, Pertuluis cria :

— Deux autres carafons ! mère Rodioux.

— La Pluchette ! appela encore la cabaretière.

Cette fois Rose Peluchet ne répondit pas à l’appel.

— Ah ! ça, où est-elle fourrée ? grogna la mère Rodioux qui s’empressa d’apporter vivement les deux carafons à ses hôtes.

— Vous ajouterez ces deux carafons à l’addition, dit Regaudin en souriant.

La mère Rodioux grimaça et dit :

— Messieurs, la monnaie laissée hier par le gentilhomme en manteau de fourrure est