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tombée aux mains de la mère Rodioux, l’ancienne mendiante.

Disons auparavant, que Jean Vaucourt, frappé par le poignard du vicomte de Loys, n’était pas mort : le cœur n’avait pas été atteint, et la forte constitution du jeune homme avait prévalu.

Quant au vicomte, que Marguerite de Loisel n’avait pas voulu dénoncer par manque d’une preuve positive, il avait quitté l’hôpital deux jours après avoir commis son attentat contre le capitaine des gardes du Marquis de Vaudreuil, et il avait enragé d’une haine folle en apprenant que Jean Vaucourt était sauvé.

Or, ces événements subits, notamment la disparition d’Héloïse de chez M. Pierrelieu, le suicide de Mlle Pierrelieu et l’attentat commis contre la personne du capitaine, avaient tout à fait dérouté notre ami Flambard dans ses recherches pour retrouver Héloïse et son enfant. Il se voyait, lui et ses amis, environné d’ennemis insaisissables, et il finissait par s’avouer qu’il était incapable de prévenir leurs coups. Pourtant ces ennemis, il les connaissait, il les devinait du moins, et pour s’en débarrasser ou les empêcher d’agir il cherchait vainement un moyen efficace. Et maintenant qu’il avait perdu la trace d’Héloïse, il ne savait plus où donner de la tête, où frapper : la jeune femme demeurait introuvable. Le père Croquelin, besace au dos, avait fouillé toute la ville et il n’avait pas réussi à trouver la moindre piste.

Et l’hiver était venu.

Les deux amis n’avaient pas plus trouvé trace de l’enfant d’Héloïse, et le plus grand mystère semblait entourer sa disparition. Et voilà que peu à peu le découragement s’emparait de cette âme forte qu’était celle de Flambard.

Deux hommes, toutefois, pouvaient lui faire pénétrer le mystère : Bigot et le vicomte de Loys, et peut-être aussi Deschenaux. Mais comment atteindre ces hommes, ou comment leur faire rendre un secret dont ils devaient être fort jaloux ? Car ces hommes, c’était le pouvoir, et le premier, Bigot, contrôlait la finance, le commerce, la police et même la politique ! Oui, comment arriver à soumettre ces personnages à sa volonté ? Car de Loys avait été nommé lieutenant de police alors que les troupes coloniales se dirigeaient vers la frontière, et le lieutenant de police était, après l’intendant, le second pouvoir. Puis, entre l’intendant et le lieutenant de police surgissait cette ombre sournoise et tortueuse qu’était Deschenaux factotum de l’intendant, être presque insaisissable, ombre qui glissait dans l’ombre.

Certes, Flambard pouvait, au pis aller et s’il l’eût voulu, venger Héloïse et Jean Vaucourt en se jetant, la rapière au poing, contre ces trois monstres et les envoyer faire de l’agiotage et du mystère dans l’autre monde, mais cela n’eût pas avancé ses affaires. Il se promettait bien de tout faire pour les rayer du corps de la société, mais auparavant il importait de sauver ses amis, et pour les sauver il avait besoin de saisir les secrets et les trames de l’intendant et de ses laquais.

À ce sujet Flambard regrettait une chose : celle de n’avoir pas cherché à savoir de Mlle Pierrelieu ce qu’était devenu l’enfant d’Héloïse. Car elle avait dû être au courant aussi de cette affaire. Flambard n’avait pas songé à cela, ou s’il y avait songé, il pensait revoir Mlle Pierrelieu qu’il avait amenée au Palais de l’Intendance. Aussi quelle stupeur fut la sienne en apprenant le drame du Palais, ce drame au cours duquel Mlle Pierrelieu, après avoir tenté d’assassiner Deschenaux, s’était frappée au cœur d’un coup de dague sous les yeux de l’intendant !…

Plus tard notre héros avait appris, à son grand regret, que Deschenaux n’en avait eu que pour quatre semaines de lit. Quant à M. Pierrelieu, après un tel scandale, il avait vendu ses affaires et était repassé en France en même temps que M. de Bougainville et quelques officiers français. Donc, du côté des Pierrelieu, Flambard n’avait plus espéré apprendre quoi que ce fût au sujet de l’enfant d’Héloïse.

Flambard couvait donc dans son cœur de grandes inquiétudes. Il aimait Héloïse comme si elle eût été sa fille, il l’aimait autant que son père, le comte de Maubertin, l’avait aimée. Il aimait l’enfant d’Héloïse comme son petit enfant, et pour cet enfant il se fût fendu en quatre pour lui épargner la moindre peine, la moindre souffrance. Pour lui ces inquiétudes étaient une vive souffrance, et il souffrait encore de savoir que Jean Vaucourt était très gravement blessé et entre la vie et la mort, — Jean Vaucourt qu’il affectionnait comme l’avait affectionné le comte de Maubertin. Car,