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LA BESACE DE HAINE

fatale, mais il lui fallait un mince secours, un secours qu’elle réclamait à bras tendus, à mains jointes, à lèvres frémissantes, à sa mère ! La mère, ou mieux ceux qui aveuglaient cette mère détournèrent la tête : à quoi bon !

Or, cet « à quoi bon » dédaigneux trouvait un écho destructif et néfaste dans l’esprit d’êtres inhumains et méchants qui, en leurs mains, avaient accaparé les pouvoirs publics, et qui, avec un cynisme horrible, essayaient de précipiter la plongée finale ! Hélas ! ils allaient atteindre leur but trop tôt…

Bigot, en effet, avait fini par prendre en ses mains sordides la direction totale des finances du pays.

Les finances !…

C’était l’unique force pour lutter avec chances de succès contre les finances anglaises qui, après l’effort extraordinaire qu’elles avaient accompli pour mener la campagne de 1758, campagne qui avait rendu l’Angleterre maîtresse de Louisbourg, allaient durant l’hiver de 1759 accroître du double cet effort pour écraser définitivement les vaillants défenseurs de la Nouvelle-France.

Bigot et consorts semblaient s’être ligués avec les ennemis du dehors pour achever plus tôt l’œuvre funeste. Le Marquis de Vaudreuil, trop pris par les opérations militaires, c’est-à-dire les affaires du dehors, ne donnait pas l’œil aux affaires de l’intérieur, s’en remettant à Bigot dont il ne soupçonnait pas ou, mieux peut-être, dont il ne semblait pas redouter les manœuvres perfides. Il refusait de prêter l’oreille aux sages avis de quelques hommes dévoués et clairvoyants qui surveillaient les menées sombres de la clique. Il ne voulait pas entendre le marquis de Montcalm, qui ne cessait de lui faire des représentations pour faire cesser les scandales publics dont se rendaient coupables les Cadet, les Varin, les Péan, les Estèbe, les Pénissault, les Corpron, et toute cette hideuse phalange de cannibales que conduisaient au son de l’or tintinnabulant Bigot et ce triste sire Deschenaux que l’histoire condamne comme un abject voleur.

Plus que cela, à la veille du terrible déclenchement que l’Angleterre allait exécuter contre la Nouvelle-France, et durant les quelques mois qui précédèrent l’arrivée de la flotte anglaise sous les ordres de Wolfe, M. de Vaudreuil en était venu à se brouiller tout à fait avec ses principaux officiers : Montcalm, Lévis et Bougainville. S’il n’y avait entente entre les chefs, qu’allait-il arriver ? Et, pourtant, le marquis de Vaudreuil, canadien par naissance, ne manquait pas de patriotisme. Il eût tout sacrifié de ses biens personnels et de sa personne pour conserver au roi de France cette belle colonie. De fait, quand il alla après la conquête rendre compte au roi de son administration, il arriva à la cour comme un pauvre homme, ayant fait servir pour le service public ses émoluments de gouverneur. Pour continuer à tenir convenablement son rang de gentilhomme il avait compté sur la générosité du roi de France qui, malheureusement, ne sut pas reconnaître les grands services qu’il avait rendus à la France. S’il commit des fautes — des fautes dont il ne devait être tenu trop rigoureusement responsable — quels bienfaits il avait accomplis dans cette colonie, et que de fois il l’avait sauvée du désastre par quelque entreprise glorieuse dont il avait été l’âme directrice !

Quant aux erreurs commises et à ses imprévoyances, il faut dire que le marquis avait été, tout le temps de son administration, la dupe de Bigot qui avait placé dans son entourage immédiat des gens à lui, gens qui étouffaient les voix autorisées qu’on entendait s’élever de temps à autre contre la bande de détrousseurs des biens du roi et de la France.

Mais lorsqu’on vit les préparatifs formidables que faisait l’Angleterre en cet hiver de 1759, on décida de mettre de côté les divisions et l’on s’apprêta à donner l’effort.

Un grand appel au secours fut lancé à la France par la voix de Bougainville qu’on envoya à la cour.

Qu’allait répondre la France ?

C’est ce que nous saurons bientôt dans un autre récit intitulé « Le Siège de Québec ». Pour le moment, il importe que nous poursuivions la narration de cette histoire.

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— II —

QUE MÉDITAIT DESCHENAUX ?

Nous avons vu qu’Héloïse de Maubertin, femme de Jean Vaucourt, était par hasard