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LA BESACE DE HAINE

— Sacre de sacre ! tu penses bien. À l’œuvre donc, la citerne attendra !

Et tous deux attaquèrent du ciseau et du marteau le mortier qui cimentait la pierre.

— Combien de temps va vous prendre cette besogne ? demanda Flambard qui se sentait enfoncer de plus en plus dans le cloaque, et qui redoutait d’enfoncer jusqu’au cou.

— Oh ! deux heures, répondit un maçon, peut-être bien trois heures !

Flambard soupira. Deux heures… trois heures… c’était long, mais il avait l’espoir d’en sortir tout de même.

Deux heures s’étaient écoulées et le travail n’avançait guère.

— Diable ! fit tout à coup l’un des maçons, voici une pierre qui a été rudement bien cimentée, satan ne la ferait pas bouger !

Tous deux travaillaient ferme, cassant miettes à miettes du ciseau et du marteau les pierres environnantes pour arriver à pratiquer un joint et dans ce joint introduire un levier. Et il était bien près de deux heures de relevée, lorsque, enfin, ils purent tirer à eux une lourde pierre.

Ils étaient inondés de sueurs.

Flambard, par le trou, passa sa tête hagarde et maculée de boue.

À sa vue les deux maçons firent un bond d’épouvante. Puis l’un d’eux cria :

— Enfer de nous !… c’est une oubliette, et cet homme est un prisonnier ?

— À la pierre !…

— Reposons-la !…

Ils se jetèrent sur la pierre avec l’intention de la replacer dans la muraille, et de remurer Flambard dans son trou.

Lui, fit entendre un ricanement. Comme les maçons approchaient la pierre, le bras de Flambard se détendit comme un ressort et le poignard qui se trouvait serré dans sa main droite atteignit en plein cœur l’un des maçons. L’homme tomba et la pierre roula sur lui. L’autre, saisit un lourd marteau pour frapper Flambard. Mais notre ami venait de se glisser tout à fait hors du trou, et, bondissant comme un tigre sur le deuxième maçon, il le tua net d’un autre coup de poignard.

— Tonnerre de Dieu ! jura-t-il, je ne voulais pas les tuer, mais…

Il s’interrompit pour écouter certain vacarme, mais un vacarme infernal, qui partait des étages supérieurs !

— Oh ! oh ! y a-t-il bal là-haut ? Il faut voir ça !…

Sans perdre de temps il s’orienta dans les caves à la recherche d’une issue. Ce ne fut pas long qu’il trouvait un escalier, et, moins de cinq minutes après être sorti de son cloaque, Flambard, la rapière au poing, se jetait contre les gardes qui venaient de commencer leur danse autour du père Croquelin.


— XIII —

PISTE PERDUE


Voilà ce qu’avaient un peu deviné Bigot et ses deux laquais, Deschenaux et de Coulevent. Puis tous trois étaient remontés dans le cabinet de travail de l’Intendant.

De Loys reposait toujours sur le divan.

— À présent, dit de Coulevent, il va falloir s’occuper du vicomte.

— Je désire qu’on me fasse conduire au Couvent des Hospitalières, dit de Loys avec un sourire terrible, et je dois passer pour un homme à demi mort !

Bigot lui jeta un regard de surprise.

Deschenaux s’approcha de l’intendant et lui murmura à l’oreille quelques paroles.

Bigot esquissa un sourire de triomphe diabolique et dit :

— Superbe, vicomte ! Je vais donner ordre qu’on attelle à l’une de mes berlines.

Et, en effet, vingt minutes après le vicomte de Loys, accompagné de son ami de Coulevent, roulait vers l’Hôpital-Général. Et il pensait :

— Maintenant, entre Jean Vaucourt et moi, il ne reste plus qu’une carte à jouer, et je jure Dieu que je jouerai cette carte le premier !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Avant de suivre le vicomte à l’hôpital, nous reviendrons à Flambard qui emportait le père Croquelin sous son bras.

S’étant aperçu qu’il était tout couvert de boue, il pénétra dans un cabaret du voisinage dans le but de refaire sa toilette, et en même temps s’occuper un peu de ramener à la vie l’ancien mendiant qu’il avait probablement étouffé à noir sous son bras.

Mais le père Croquelin, en se sentant libéré, toussa, éternua, et sourit largement.

— Vous m’avez pas mal étouffé, dit-il, mais j’aime mieux cela que toutes les imbécillités de cette bande de diables verts, jaunes et noirs qui dansaient autour de moi comme des sauvages qui s’apprêtent à scalper leurs victimes.