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LA BESACE DE HAINE

Et quand il eut disparu, emportant toujours le père Croquelin sous son bras, la ville entière demeura plongée dans le silence et la consternation, croyant que la fin des temps était venue, et se demandant si elle devait se recommander à la clémence de Dieu avant de passer en jugement !…


— XII —

DANS L’OUBLIETTE


Dans ce cabinet de travail où Flambard était entré ce matin-là, Bigot, Deschenaux, de Coulevent et de Loys, blessé, étaient réunis, inquiets et sombres. Ils essayaient de résoudre le problème de la sortie de Flambard de l’oubliette en laquelle il avait été précipité. C’était si inexplicable, si inadmissible que Bigot, peu superstitieux, commençait à croire à la magie.

Chacun avait émis son hypothèse plus ou moins hasardeuse, lorsque Deschenaux dit :

— Il est deux hommes qui, peut-être, pourraient nous renseigner.

— Et qui donc, mon ami ? demanda Bigot.

— Ces deux maçons que j’ai envoyés ce matin au sous-sol pour réparer la pierre de la citerne.

— Oh ! oh ! fit Bigot en fronçant le sourcil. Par Notre-Dame ! ami Deschenaux, que ne m’avez-vous fait part de cette besogne à faire par deux maçons ? Je vous aurais dit d’attendre ! Allons ! ajouta-t-il, descendons aux caves pour vérifier nos hypothèses !

De Loys, trop blessé, demeura couché sur un divan. Bigot et ses deux autres satellites descendirent dans les fondations de l’édifice. Ils ne tardèrent pas à découvrir les cadavres de deux maçons, et, au bas de la muraille qui fermait l’oubliette, un trou suffisant pour laisser passer le corps d’un homme. À côté du trou gisait une pierre fraîchement descellée.

— Voilà, dit l’intendant avec un sourire froid, l’œuvre de ces imbéciles : ils ont donné la liberté à Flambard qui, en retour, les a payés d’un coup de poignard chacun !

Bigot n’était pas loin de la vérité, comme nous allons voir.

Nous nous rappelons comment Flambard avait été précipité par une trappe dans l’oubliette. Il n’avait pas même eu le temps de faire « ouf », qu’il était tombé à plat ventre dans de la paille, de l’eau et de la boue. Puis il lui avait fallu dix minutes pour revenir de l’étourdissement que lui avait causé cette chute. Une fois qu’il eut repris ses esprits, la première chose qu’il fit fut de tâter, dans le noir d’encre qui l’enveloppait, son côté gauche pour s’assurer que sa rapière l’avait suivi. Oui, elle était encore là, toujours là, cette courageuse compagne, et toujours solide !

Il sourit et se dit :

— Je suis tombé dans une oubliette, une de ces oubliettes dont Bigot doit avoir le secret, où l’on meurt au bout de trois petites journées et de faim et d’épouvante, et d’où l’on ne sort ensuite que pour être couché dans un cercueil de plomb qu’on va jeter, la nuit venue, au fond du fleuve ! Oui… mais meurt seulement qui a à mourir ! Or, moi, je n’ai pas à mourir encore, puisque je n’en ai pas eu le pressentiment ! Car on a toujours le pressentiment de sa mort ! Donc, je ne dois pas mourir, je ne vais pas mourir, donc je sortirai d’ici vivant ! Mais quand ?… Voilà tout ce qui me reste à savoir !

Et Flambard se mit à tâter les parois humides et visqueuses de son Cachot de la Mort !

Depuis qu’il s’était remis sur ses pieds, il enfonçait dans une boue gluante et nauséabonde.

— Pouah ! fit-il en serrant ses narines, une chose certaine, on ne m’a pas mis dans un coffret à parfum !

Il ricana.

Puis, ayant tâté les murs de nouveau et s’étant bien assuré qu’il n’existait ni porte ni ouverture quelconque, il croisa les bras et médita.

L’affaire lui apparaissait maintenant plus sérieuse qu’il n’avait pensé.

Quoi ! allait-il mourir vraiment ?

— Par les deux cornes du diable ! murmura-t-il, est-ce qu’à présent je vais me laisser prendre par ce gueux de pressentiment ?

Il frisonna…

Mais non pas qu’il eût peur de la mort ! Que lui importait la mort ? Il savait qu’un jour ou l’autre tout mortel devait payer à la vie son dernier écot ! Oui, mais Flambard avait quelque chose à faire encore sur terre. Il n’avait pas accompli la mission que lui avait confiée M. de Maubertin sur son lit de mort ! Et il avait juré de voir à ce que les dernières volontés du comte fussent fidèlement exécutées ! Après, il pourrait mourir… il mourrait sans regret !

Pour le moment il fallait vivre, et pour vivre il importait de sortir coûte que coûte de ce trou ! Mais comment ?…

Là était la véritable difficulté ! Là était peut-être l’impossibilité !