— Mes amis, patience seulement un quart d’heure, et je vous promets que je reviendrai. J’ai affaire pour l’instant à monsieur l’intendant. Après je me mêlerai volontiers à votre musique. À tout à l’heure, donc !
Il referma brusquement la porte.
Deschenaux dit :
— Venez !
Il s’était approché d’une tenture qu’il avait écartée et qui masquait une porte étroite et basse. À l’aide d’une petite clef il ouvrit cette porte qui laissa voir un passage étroit, voûté et très noir. Deschenaux s’effaça et dit :
— Passez !
— Passe le premier ! dit Flambard.
— Je veux refermer cette porte.
— Je la refermerai tout aussi bien que toi… donne la clef !
Deschenaux obéit.
Flambard le suivit, mais le passage était si bas de voûte, que le spadassin dût se plier presque en deux pour ne pas heurter sa tête contre les pierres rugueuses. Puis il tira la porte et tourna la clef qu’il mit ensuite dans ses poches.
Il faisait là une noirceur d’encre.
— La clef ! dit Deschenaux.
— Va, répliqua Flambard, je la garde !
Et reprenant sa rapière, il ajouta :
— Va ! mais gare à toi si tu essayais de me jouer quelque tour !
Le secrétaire de Bigot se mit en marche. Au bout de trois ou quatre minutes il s’arrêta et dit :
— Monsieur Flambard, ici faites attention, il y a huit marches de pierre à descendre.
— C’est bon, va !
En bas de ces marches Flambard se trouva dans un autre couloir qui lui sembla tourner à gauche.
N’importe ! il marcha sur les pas de Deschenaux, bravement, sans redouter quoi que ce fût.
Après trois autres minutes de marche, Deschenaux s’arrêta encore et dit :
— Nous sommes ici devant une porte toute pareille à celle du cabinet de travail de monsieur l’intendant.
— Bien, dit Flambard, je vais l’ouvrir.
— J’y réussirais mieux que vous, murmura Deschenaux, attendu que je connais les aîtres et que je trouverai plus facilement le trou de la serrure.
— N’est-ce que cela ? se mit à rire Flambard. Laisse-moi faire, et tu verras que j’y vois tout aussi bien que toi sinon mieux.
Il repoussa Deschenaux et rapidement mit la clef dans la serrure. Cela s’était fait sans un tâtonnement, et Deschenaux en fut surpris.
Flambard retira la clef, la remit dans sa poche et dit, en s’effaçant :
— Ouvre et va !
Cette fois Deschenaux parut hésiter. Puis il toussa fortement.
— Ah ! ah ! ricana Flambard. Est-ce le rhume qu’on a, ou un signal qu’on veut donner ?
— C’est l’air froid de ce passage, expliqua Deschenaux.
— Eh bien ! s’il est nuisible à ta santé, il faut en sortir au plus vite. Ouvre ! répéta-t-il plus rudement.
Deschenaux poussa lentement la porte… si lentement qu’on eût juré qu’il avait peur.
La porte ouvrit sur une salle basse, dallée de pierre, aux murs sans boiseries, dénudée de tout ameublement.
Et dans cette salle Flambard aperçut Bigot qui, debout à côté de la porte et une main appuyée au cadre, souriait étrangement. Flambard aperçut l’intendant par-dessus la tête de Deschenaux qui franchissait le seuil.
Et lui, Flambard, suivit sans défiance.
— Ah ! ah ! se mit à rire Bigot, c’est maître Flambard !
Deschenaux, une fois entré dans la salle, s’était aussitôt effacé pour faire place au spadassin ; et lui, s’il avait regardé Deschenaux à cette minute, il aurait surpris sur ses lèvres un sourire effrayant.
Mais Flambard, tout en franchissant le seuil de la porte basse et étroite, regardait l’intendant et disait, narquois, en réponse à ses paroles :
— C’est vrai, monsieur l’intendant, c’est bien Flambard qui a demandé l’honneur de vous…
Clic-clac !…
Flambard n’en put dire plus long. Une trappe venait de s’ouvrir sous ses pieds, et il disparut dans un gouffre de noirceur. La trappe remonta aussitôt pour se refermer avec un bruit sec.
— Ciel et terre ! souffla rudement Deschenaux, j’ai eu bien peur que vous ne pressiez le bouton lorsque j’allais entrer, me prenant pour Flambard.
Bigot ricana sourdement.
— Depuis ton signal j’avais l’oreille et l’œil bien appliqués. Et puis je t’ai entendu tousser là. Voilà donc qui est fait !
— Vive l’Enfer ! s’écria Deschenaux en essuyant son front humide de sueurs glacées.