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LA BESACE DE HAINE

vents, des maisons d’éducation, des hôpitaux pour recevoir les malades et les blessés, et c’était pour aider au défrichement des terres ! Oui, cet or, mon ami, c’était pour le bien de la communauté, ce n’était pas uniquement pour votre bande de chiens carnassiers ! Ah ! oui, il est trop lourd pour vos épaulees, il vous écrasera, et je compte bien qu’il vous écrasera avant que vous ayez accompli le malheur que vous préparez ! Et, foi de Flambard, si je savais que vous n’alliez pas étouffer dans la crasse que vous amassez, je vous étriperais tous, jusqu’au dernier, comme une volée de corbeaux malfaisants ! Et vos pourritures, je les brûlerais pour en dissiper les cendres et les gaz empoisonnés à tous les vents, afin qu’il ne restât plus trace, pas la moindre, de toute cette plaie encanaillée qu’est votre ignoble bande ! Tenez ! par les deux cornes de Satan…

Flambard fut interrompu par une effroyable clameur qui s’élevait de l’intérieur même du palais. Des voix rugissaient, l’acier des rapières grinçait, des portes claquaient… La clameur semblait s’approcher de cette pièce où se trouvaient le spadassin et Deschenaux, livide, tremblant de lâcheté et de peur… Deschenaux sentant l’épouvante lui manger le cœur et l’esprit à mesure que Flambard lui crachait à la face des vérités terribles et cinglantes comme des cravaches !

Mais à l’instant même on put entendre le son d’un gong lointain.

Flambard ne fit pas attention à ce son, mais Deschenaux esquissa un sourire imperceptible.

Mais comme la clameur entendue devenait vacarme, le spadassin porta la main à sa rapière.

— Ah ah ! dit-il en ricanant, je m’attendais bien un peu à cela : ce sont vos sbires ameutés contre moi ! Je le devine parce qu’on m’a vu entrer… Si on m’a vu entrer… Parbleu ! on m’a même quelque peu senti, attendu que j’ai dû passer sur le corps de cent vauriens de ton espèce. Car, le sais-tu, muflard ? je n’ai jamais qu’un chemin, le plus court, et malheur à qui ne se range ! Je passe… Eh bien ! si la meute vient se mettre sur mon passage, je passerai dessus, dedans, au travers… je l’écraserai… je vous écraserai tous !

Et comme, à ce moment, l’ouragan semblait approcher encore, Flambard se précipita vers la porte la rapière au poing.

— Attendez ! cria Deschenaux, qui venait de tirer, pour la troisième fois, le gland pendu dans les rideaux des fenêtres.

Flambard s’arrêta et demanda :

Quoi donc, monsieur ?

— Il y a là, reprit Deschenaux en désignant la porte vers laquelle courait Flambard, au moins cent gardes et cadets, vous ne passerez pas !

— Je ne passerai pas ?…

Flambard éclata d’un rire énorme… d’un rire si formidable que ce rire traversa les murs et arriva comme une menace aux oreilles de la meute enragée. Car c’était la meute, en effet, qui venait… et la meute se tut presque en entendant ce rire. On ne perçut de ce moment qu’un vague bourdonnement.

— Vous ne passerez pas, j’en suis sûr, dit encore Deschenaux.

— Alors, dois-je entendre que tu m’aideras à passer ? demanda narquoisement Flambard.

— Je connais ici un passage secret par lequel vous pourrez vous échapper.

— Ah ! bah ! il ne manquerait plus que je prisse par les passages secrets, merci bien ! D’ailleurs, je ne veux pas échapper, je cherche ton maître !

— Je vous conduirai à ses appartements.

— Par où cela, maître ?

— Par ce passage secret qui mène chez Monsieur l’intendant.

Flambard regarda longuement Deschenaux, comme pour sonder la pensée de cet être louche et vil dont il se méfiait. Et cet être lui parut si sincère qu’il se trompa sur ses sentiments. Or, comme il avait affaire à Bigot, il ne pouvait faire mieux que suivre l’avis de Deschenaux. Mais pour ôter à celui-ci la pensée qu’il avait peur, lui Flambard, de la meute arrêtée maintenant derrière la porte et qui, peut-être, n’attendait qu’un signal pour entrer, il dit :

— C’est bien, je consens à te suivre, si tu me promets que je verrai ton maître. Mais auparavant j’ai affaire là !

Il courut à la porte qu’il ouvrit largement.

Cette porte donnait sur ce grand salon en lequel nous avons déjà introduit le lecteur, ce soir de septembre 1756, et où se tenaient, comme l’avait dit Deschenaux, au moins cent gardes et cadets l’épée nue à la main et un bon nombre de huissier et de portiers. Et cette bande mugisait.

À l’apparition de Flambard elle recula en faisant entendre un sourd grondement.

Deschenaux fit à la meute un signe d’intelligence, et elle parut comprendre… elle se tut.

Flambard cria :