de Ferrière, — incendie au cours duquel Mme de Ferrière et son domestique, Anthyme, avaient trouvé la mort. Bigot avait été complice de Lardinet en ce sens qu’il avait donné la liberté à ce dernier qui, par ordre royal d’abord et ordre vice-royal ensuite, avait été mis aux arrêts ; et si Bigot avait donné la liberté à Lardinet, c’était pour que celui-ci se vengeât de Maubertin qui l’avait dénoncé comme imposteur et qu’il fît disparaître ses ennemis qui étaient devenus aussi des ennemis de Bigot. Héloïse savait encore que l’intendant avait trempé dans ce complot par lequel Cadet, avait séquestré M. de Maubertin en attendant qu’il fût décidé de son sort. Ce sort du comte c’était son trépas longtemps médité, comme Jean Vaucourt l’avait appris plus tard. En effet, il avait été décidé, le jour même de cette fête qu’avait donnée Cadet en sa demeure de la Porte Saint-Jean, qu’on ferait disparaître le comte par empoisonnement lent, quitte à imputer sa mort à une maladie qui aurait été la suite de l’incendie du mois d’août 1756.
Oui, Héloïse savait tout cela et bien d’autres choses encore, et il semblait à Bigot qu’elle pouvait être dangereuse pour sa sécurité du moment que son père avait reconquis la faveur royale. Par surcroît, Bigot avait contre Jean Vaucourt, mari d’Héloïse de Maubertin, une haine inextinguible, et pour se mieux venger du jeune capitaine et mieux assouvir sa haine, il avait songé à frapper sa femme et son enfant. Voilà donc pour l’intendant.
Maintenant pour de Loys.
Nous savons comment Jean Vaucourt l’avait souffleté[1] en cette fête de Cadet dans l’automne de 1756 et comment le vicomte en avait gardé le terrible ressentiment. Or ce soufflet n’avait pas encore été vengé, et la haine s’accumulait à ce point dans le cœur du vicomte qu’elle le poussait à inventer les plus atroces projets de vengeance.
Or, la haine de Bigot et celle du vicomte s’étant un jour donné la main, Bigot avait dit :
— Je frapperai le mari, celui qui m’a outragé, celui qui a osé me menacer du mandat d’arrêt… je frapperai Jean Vaucourt ! Toi, vicomte, tu frapperas l’épouse et la mère !
Et, se voyant si bien secondé, le vicomte avait répondu :
— L’épouse est femme… femme jeune et belle, je la veux !
Bigot avait répliqué :
— Bien, prends-là !
Voilà donc comment Héloïse de Maubertin était tombée entre les mains de ces ennemis qui ne songeaient à reculer devant aucune atrocité, aucune horreur ; et l’on eût dit que le diable s’était mis d’accord avec eux pour favoriser leurs projets sinistres.
Jean Vaucourt avait été envoyé à Carillon où il courait toutes les chances de se faire tuer par les balles anglaises, à moins que ce ne fût par les balles de meurtriers à la solde de l’intendant.
Puis le comte de Maubertin était mort à Chandernagor.
Il ne restait donc qu’Héloïse, et de celle-ci le vicomte se chargeait.
Lorsque le vicomte s’était apprêté à exécuter son projet d’enlèvement, il n’avait su trop en quel endroit il pourrait retenir sa proie prisonnière en attendant que Jean Vaucourt fût disparu pour toujours. Deschenaux, à qui on avait confié le secret comme étant le factotum de Bigot et son âme damnée, avait de suite conseillé à de Loys de conduire Héloïse chez M. Pierrelieu, assurant que Mlle Pierrelieu, sa fiancée, se chargerait volontiers de veiller sur la jeune femme. De Loys avait accepté avec empressement cette combinaison, et Deschenaux s’était de suite abouché avec Mlle Pierrelieu et son père.
Disons ici — si nous ne l’avons pas dit dans le volume précédent, c’est-à-dire La Besace d’Amour, — que M. Pierrelieu était veuf et que, aussi gangrené que tout l’entourage de l’intendant, il courait la femme légère d’un pied agile et laissait à sa fille toute sa liberté d’action.
Mlle Pierrelieu n’était pas encore une dévergondée, mais elle n’était pas loin de commencer la descente des quelques échelons qui la séparaient encore de la boue ; peut-être n’avait-elle été retenue jusque-là dans les bornes que par son prochain mariage avec Deschenaux, mariage qui avait été fixé pour l’automne de 1756 et qui avait été remis, pour on ne sait quel motif, à l’automne de 1758.
Ce délai devait être fatal à Mlle Pierrelieu. Quelque temps après qu’Héloïse eut été confiée aux soins ou mieux à la surveillance de Mlle Pierrelieu, Deschenaux, qui venait passer près d’elle presque toutes ses soirées, avait été peu à peu captivé par le charme d’Héloïse. Et il en arriva à prêter beaucoup plus d’attention à Héloïse qu’à Mlle Pierrelieu qui
- ↑ Voir la « Besace d’Amour », du même auteur.