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LA BESACE DE HAINE

— Sauvons-nous ! bégaya Regaudin qui tâtait ses côtes.

Il régnait confusion indescriptible parmi la bande des portiers, gardes et huissiers…

— Est-ce le diable qui venait de passer ?

Ils se le demandaient, tout étourdis, et prêts à le croire.

— Déguerpissons ! souffla Regaudin, car il va se passer quelque chose ici !

— Oui bien, admit Pertuluis, du moment que Flambard y est ça va être quelque chose, une marmelade peut-être dans laquelle je ne tiens pas à tremper !

Dans l’excitation qui régnait et grandissait autour d’eux, les deux grenadiers parvinrent à se glisser dehors où ils disparurent à toutes jambes vers les ruelles avoisinantes.

Ils oubliaient déjà qu’ils avaient promis de montrer avant une heure l’envers de la peau de Flambard !…


— VII —

Mlle  PIERRELIEU ÉTAIT JALOUSE


Flambard avait juré de retrouver Héloïse de Maubertin, la femme de Jean Vaucourt. Mais allait-il réussir ?

Nous savons comment, une nuit de juillet, le vicomte de Loys avait fait enlever la jeune femme de chez elle pour la faire conduire à la maison d’été de M. Pierrelieu. Cet enlèvement avait été décidé de concert avec Bigot.

Bigot n’avait eu d’autre but que celui de faire disparaître un témoin qui, plus tard, aurait pu devenir dangereux pour lui. Que le lecteur demeure assuré qu’il n’y a nulle fantaisie du romancier lorsqu’il relate tel enlèvement, tel meurtre, telle disparition d’un personnage. À cette époque de guerres continuelles, de luttes sans merci, d’ambitions effrénées, d’innombrables cupidités rivales, et, bref, de morale sans lest, la vie d’autrui ne comptait pas. Les obstacles, quels qu’ils fussent, étaient impitoyablement écartés. Les lois étaient infirmes ; la justice était loin d’être ingambe : elle marchait si lourdement et à pas si lents que l’on croyait plus sûr de se faire justice à soi-même. Sans compter que souvent ces deux instruments, la loi et la justice, nécessaires à la bonne gouverne d’une société étaient maniés par des gens qui, eux-mêmes et les premiers, étaient gens de corde et de sac. Sous le gouvernement du dernier des Vaudreuil, administration civile, justice, finances, commerce, et voire la conduite des opérations de la guerre, tout le système administratif était contrôlé par la bande que menait en laisse un intendant-royal nommé FRANÇOIS BIGOT. Que d’individus obscurs et, souvent, de personnages d’un certain rang ont tout à coup disparu de la société néo-française ! Le plus souvent c’étaient des négociants qui avaient eu la mauvaise chance de déplaire aux Bigot ou aux Cadet. Des femmes et des jeunes filles sont disparues sans que l’on pût jamais savoir ce qu’elles étaient devenues. Et si, alors, le peu de justice qui régnait faisait mine de vouloir jeter un œil indiscret dans l’affaire, telle disparition, tel rapt, tel meurtre était imputé à des maraudeurs indiens. Et cette justice, que manœuvrait aussi bien Bigot que le marquis de Vaudreuil, rentrait dans son œuf. Tout était dit, l’affaire était « classée ».

Quelle affreuse époque ! dira-t-on. C’est vrai. Mais, comme nous l’avons dit, il faut tenir compte des mœurs du temps, des misères qui accablaient le pays, et surtout, de l’état de guerre qui régnait sans cesse, époque où l’on ne pesait pas la vie d’un homme. Et dans ces circonstances la perversité avait beau jeu. Il est donc avéré que Bigot, que Cadet, que Deschenaux, et, peut-être aussi Varin, ont fait disparaître, soit par le meurtre pur et simple ou autrement, certains personnages qui leur avaient porté ombrage. Et, ceci expliqué, notre aimable lecteur ne s’étonnera plus de ces actes sanguinaires et monstrueux qui furent commis à l’une des plus belles époques de notre histoire. Nous ne pouvons que les déplorer : et encore ces actes hideux n’étaient-ils que les actes d’individus à solde le plus souvent et d’aventuriers sans foi ni loi et sans patrie, actes qui n’ont en aucune sorte influé sur le caractère de notre belle nationalité canadienne française.

Or, tous ceux-là qui paraissaient porter ombrage à l’intendant devenaient ses ennemis pour qui il ne pouvait avoir nulle pitié.

Au nombre de ces ennemis il y avait le comte de Maubertin. Mais tant que le comte demeurait aux Indes, Bigot ne le redoutait pas. Si, un jour, Maubertin revenait en France ou s’il était envoyé au Canada, alors Bigot tâcherait de le mettre hors d’état de lui nuire auprès du roi et de ses ministres.

Après le comte de Maubertin il y avait, à Québec, sa fille. Or Héloïse savait que Lardinet avait commis les crimes les plus affreux en France, aux Indes et en Nouvelle-France. Héloïse savait que Bigot avait été comme le complice de Lardinet dans l’incendie de la maison où elle domiciliait avec sa tante. Mme