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LA BESACE DE HAINE

décider de parcourir tout l’Orient dans l’espoir de trouver des placements plus avantageux. Il partit accompagné de Lardinet. Ceci se passait en 1742. Deux guides retrouvés par le comte ont assuré que le baron et Lardinet avaient voyagé durant trois années. Puis, un jour, Lardinet était revenu à Chandernagor seul. Il y avait laissé sa femme dont la santé ne s’améliorait guère. Il lui confia que le baron avait été emporté par la fièvre jaune, et qu’il lui avait légué sa fortune ainsi que sa fille unique, Virginie-Françoise-Marguerite. Ici, je dois vous dire que Lardinet avait beaucoup de ressemblance par la taille et les traits du visage avec le baron de Loisel. Il se présenta chez le marchand, où avait été laissée la petite Marguerite, comme le véritable baron de Loisel. C’était le soir. Il paya généreusement la femme du marchand et partit avec l’enfant. Deux jours après il était en route pour la France emmenant sa femme et la fille du baron. À Paris, où il était trop connu, Lardinet n’osa porter le nom du baron. Il vous confia de suite aux soins de religieuses d’un petit pensionnat de province, et lui, durant les six ou sept années qui suivirent, vécut un train de grand seigneur et mangea la fortune du baron, fortune, comme vous le devinez, qu’il avait volée après avoir assassiné le baron de Loisel, suivant des informations authentiques que vous trouverez dans ces documents recueillis par monsieur le comte.

« Or, sans le sou et misérable, Lardinet obtint, sans que nous sachions trop comment, la faveur du marquis de Choiseul. Lardinet avait bien des avantages : il était jeune, instruit, audacieux. Par ses voyages il avait acquis de vastes connaissances, et comme il était initié au pays et aux affaires de l’Inde, il fut placé à l’Intendance de Monsieur de Maubertin. Là, il réussit par le vol, la rapine, les malversations et toutes les coquineries possibles à se refaire une autre fortune, à jeter le discrédit sur monsieur de Maubertin qui l’avait honoré de son amitié, et à semer sur son chemin ruines et deuils. Puis, un jour, traqué, il prit la peur au diable. »

« Vous connaissez le reste de l’histoire, mademoiselle : plus audacieux que jamais, Lardinet, chassé de l’Intendance, quitta Pondichéry avec sa femme et sa fille pour une destination inconnue. Vous aviez alors 18 ou 19 ans. Et vous savez que Lardinet, sous le nom de Baron de Loisel, était venu se réfugier en Nouvelle-France il eut la bonne fortune de rencontrer un coquin à sa taille, Bigot.

— Voilà, mademoiselle, acheva Flambard, ce que j’avais mission de vous dire avant de vous remettre ces documents, dont quelques-uns ne sont pas très clairs.

— Ainsi donc, demanda Marguerite, avec une grande émotion, je serais véritablement la fille de ce baron de Loisel ?

— Vous trouverez copie de vos titres que monsieur de Maubertin a pu obtenir du garde des sceaux à Versailles. Parmi ces documents se trouve également un décret royal par lequel il vous sera possible de recouvrer chez le banquier Coursin, à Paris, les fonds qu’y avait placés Lardinet, fonds qui, avec les intérêts accumulés, s’élèvent à la somme de cinq cent mille livres, je pense.

— Merci, monsieur Flambard. Mais j’éprouve un vif regret, celui de ne pouvoir offrir à monsieur de Maubertin ma gratitude. Cette gratitude, je la reporte sur vous. Je prendrai donc connaissance de ces documents. Auparavant, je vous demanderai de bien vouloir partager avec moi ces cinq cent mille livres qui me reviennent.

— Mademoiselle, votre générosité me touche beaucoup. Mais vu que monsieur de Maubertin a assuré le reste de mes jours plus qu’il était nécessaire, je vous prierai de partager cette somme avec plus pauvre que moi. Il ne manque pas en cette ville de Québec bien des miséreux que vous pourrez soulager et qui vous béniront.

Flambard, ayant terminé ses affaires avec Marguerite, descendit à la chambre du capitaine pour lui laisser quelques paroles d’espoir, puis il prit congé en déclarant :

— Je cours à présent rejoindre le père Croquelin pour nous mettre dès le petit jour à la recherche de madame Héloïse et de son enfant.

Et tout bas il murmura, tandis que ses prunelles lançaient de terribles lueurs :

— Monsieur Bigot, nous allons compter !…


— VI —

LES DEUX AUTRES CENTS LIVRES


Revenons à nos deux bravi.

Pertuluis, désarmé, s’était élancé dans les fourrés voisins, à l’aventure il avait essayé de regagner la ville et s’était mis à errer çà et là à travers bois, incertain du sort de son compagnon.