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LA BESACE DE HAINE

femme… d’une femme jeune encore et vêtue d’une robe et d’un manteau de religieuse.

Flambard recula… il passa une main sur ses yeux comme s’il eût voulu s’assurer que ses yeux étaient bien ouverts… il recula encore, tituba, échappa l’épée que tenait sa main droite… Puis il murmura, comme s’il s’était vu emporté dans un songe effrayant :

— Marguerite de Loisel !…


— V —

MARGUERITE DE LOISEL


C’était bien Marguerite de Loisel qui apparaissait tout à coup à Flambard ébahi, médusé… Marguerite qui, sous son costume sombre de religieuse, était toujours belle et ravissante.

Elle sourit doucement à Flambard et dit :

— Monsieur, si vous êtes surpris de me voir ici à cette heure, je ne suis pas moins surprise de vous savoir revenu des Indes.

— Ma surprise, mademoiselle, est un joyeux émoi. Vous me faites penser que j’ai à vous faire une importante communication que m’a confiée monsieur de Maubertin avant de mourir.

— Monsieur de Maubertin est mort ? s’écria Marguerite avec une expression de regret.

— Hélas ! mademoiselle, c’est le triste message dont je suis porteur.

— Pauvre Héloïse ! murmura Marguerite.

— J’avais donc oublié, reprit Flambard, une communication plus réjouissante de la part du comte à votre sujet. Aussi, serai-je heureux de remplir près de vous cette mission dès que vous m’aurez indiqué le moment opportun.

— Certainement, monsieur, je vous donnerai cette opportunité. Pour le moment, je pense qu’il est plus urgent de s’occuper du capitaine Vaucourt que je crois gravement blessé.

— C’est vrai, le capitaine… balbutia Flambard. Voilà encore que je perds la tête.

Le capitaine se remettait déjà d’une faiblesse passagère. Il vit Marguerite s’approcher, sourit et dit :

— Ah ! mademoiselle, peut-être pourrez-vous m’apprendre quelques détails de ce nouveau malheur qui m’atteint si cruellement ?

— Capitaine, je sais bien peu de chose. Hier, d’abord, un malheureux fut apporté à notre maison, gravement atteint de deux coups de poignards que lui avaient donnés des malandrins qui le voulaient voler. Il a trépassé ce matin. C’était l’un de vos gardes…

— Serait-ce ce garde, interrompit Vaucourt, que j’ai envoyé pour prévenir Héloïse de mon arrivée ?

— Oui. Comme il m’avait connu au temps où j’habitais le Château, il me confia la mission dont vous l’aviez chargé. Or, j’avais appris que cette pauvre Héloïse et son enfant avaient mystérieusement disparu. Puis, un peu plus tard, un bruit vint jusqu’à notre maison qu’elle avait été enlevée par l’un de vos ennemis.

— Bigot !… prononça Vaucourt avec un geste de haine.

— Je ne saurais affirmer, répliqua Marguerite. Sachant donc par ce garde que vous reveniez de Carillon blessé et que votre femme ne serait pas là pour vous recevoir et vous soigner, je suis accourue pour vous offrir mes services.

— Merci, mademoiselle, vous êtes toujours bonne !

Marguerite rougit un peu. Puis, se baissant, elle prononça à mi-voix :

— Capitaine, je n’oublie pas que j’ai des réparations morales à accomplir !

Elle ajouta à voix haute :

— Dans la crainte où je vous trouverais en très mauvais état, j’ai pris l’avis de ma supérieure, et suivant cet avis je vais vous faire transporter à notre maison où vous serez sous des soins attentifs jour et nuit.

— Je ne saurai refuser cette bienveillante hospitalité, merci, mademoiselle. Mais ma femme… mon enfant…

Il esquissa tout à coup un geste de colère et se mit brusquement sur son séant.

— Ah ! s’écria-t-il, vous avez dit, Marguerite, « l’un de mes ennemis »… Et moi j’ai répondu « Bigot » ! Vous ne sauriez affirmer, dites-vous ? Eh bien ! moi, je le jurerais sur la tête de mon enfant ! Bigot, cet ennemi implacable qui, je le sens, n’a jamais cessé de travailler à ma perte ! Bigot, qui avait d’abord ruiné mon pauvre père ! Bigot, qui m’avait ensuite tendu une main secourable pour me replonger dans quelque abîme profond ! Bigot, qui a fait assassiner mon bon vieux père ! Bigot, qui a déchaîné après moi sa bande d’assassins mais à qui j’ai pu échapper, oui, Bigot, me frappe enfin ! Et il me frappe plus férocement que je n’aurais pensé ! Il me frappe au cœur ! Il me frappe à l’âme ! Il me frappe dans tout ce que j’ai de plus cher dans ce monde… il me frappe dans ma femme si tendrement aimée… il me frappe dans mon