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LA BESACE DE HAINE

ges des taillis derrière lesquels les deux grenadiers venaient de s’embusquer.

Quatre gardes marchaient de chaque côté de la charrette, tous silencieux. Et dans la charrette, sur une couche de paille, gisait Jean Vaucourt qui avait l’air de sommeiller doucement. La lune éclairait son visage pâle, et une couverture le couvrait jusqu’au menton. À le voir ainsi, immobile, on aurait pensé voir un cadavre.

Au moment où on allait passer devant les taillis, deux cris féroces retentirent dans la nuit silencieuse :

— Taille en pièces !

— Pourfends et tue !

Et en poussant leurs cris de guerre Pertuluis et Regaudin se ruèrent, la rapière au poing, contre l’escorte.

Au premier choc deux gardes dégringolèrent de leurs montures, gravement atteints par les rapières des bravi.

La voix de Jean Vaucourt tonna :

— Sus aux chenapans !

Pris par surprise, les gardes s’étaient reculés laissant la charrette à découvert.

Regaudin prit son élan…

Les gardes se ressaisissaient et dégainaient en constatant qu’ils avaient affaire à deux hommes seulement. Oui, mais c’étaient peut-être deux hommes qui en valaient vingt ! Car Pertuluis fonçait sur eux et les forçait à reculer encore…

Regaudin avait donc profité de la confusion. D’un coup de rapière il descendit le cocher de son siège, en un tour de main il eut dételé le cheval qui tirait la charrette sur laquelle il grimpa, et, féroce, il fonçait, l’épée menaçante, sur Jean Vaucourt.

Cette scène s’était passée en trois ou quatre minutes, tandis que Pertuluis se contentait de tenir les gardes en respect à quelques pas plus loin.

Trop faible même pour opposer une résistance, le capitaine des gardes s’était mis sur son séant et il avait pris un pistolet à sa ceinture. En voyant surgir Regaudin il éleva son arme et s’apprêta à tirer à bout portant. Déjà le grenadier allongeait sa rapière pour porter un coup terrible, déjà Jean Vaucourt pressait la détente…

À cet instant l’attention des deux hommes fut brusquement attirée par un bruit curieux dans les buissons qui bordaient la route. Une haute silhouette humaine venait de bondir à travers ces buissons, puis elle s’était soudainement baissée vers le sol, elle avait ramassé l’épée de l’un des deux gardes tombés sur le chemin, puis, se ramassant pour ainsi dire sur elle-même, cette étrange silhouette sauta tout à coup sur la charrette.

Alors, dans cette seconde qui avait retenu dans la surprise et l’immobilité tous les acteurs de cette scène, un long ricanement sardonique s’éleva dans la nuit, et une voix nasillarde tonna :

— Par les deux cornes de satan ! maître Regaudin, à nous deux !

À l’instant même le grenadier sentit une pointe d’épée toucher sa gorge, et il aperçut, le dominant, un grand diable que, dans la lune qui l’éclairait nettement, il reconnut pour le mendiant rencontré quelques minutes auparavant.

— Flambard !… rugit-il avec une terrible épouvante.

En entendant ce nom, Pertuluis lança une malédiction et, pris de peur, se jeta dans les taillis.

Regaudin avait lâché sa rapière sur la paille de la charrette et s’était laissé tomber sur la route au risque de s’y briser les os. Mais il était tombé à quatre pattes, un peu étourdi et l’effroi lui mangeant le ventre. Il se redressa avec un juron, bondit vers les taillis, mais non assez vite qu’il n’entendit derrière lui un rire énorme éclater… C’était Flambard qui s’était jeté à son tour en bas de la charrette ; et, avant que Regaudin eût réussi à atteindre les taillis, il lui enfonçait dans les reins de deux pouces la pointe de son épée.

Le grenadier poussa un cri effrayant… il se rua dans les buissons. Flambard se rua derrière lui, criant :

— À nous deux, maître Regaudin !

Mais une ombre à ce moment se dressait rapidement entre Regaudin et lui, c’était Pertuluis qui allongeait vivement sa rapière dans le ventre de Flambard…

— Ah ! ah ! monsieur le chevalier de Pertuluis ! se mit à rire Flambard.

À l’instant même la rapière de Pertuluis s’échappait de sa main et Flambard lui mettait deux pouces d’acier quelque part dans l’épaule gauche !

Pertuluis jeta un cri de douleur, fit volteface et, s’élançant dans les taillis, il détala avec la rapidité du cerf et se perdit dans la nuit laissant, comme son compère Regaudin, un peu de son sang et sa rapière sur le champ de bataille.

Flambard riait doucement.

Jean Vaucourt s’était dressé sur le bord de la charrette et, tout joyeux, demandait :