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LA BESACE DE HAINE

jarret sec et l’œil obscur ; maintenant j’y vois mieux, et la jambe me paraît plus souple.

— Moi. j’avais le rhume au nez, ça se passe.

— C’est bon signe, dit Pertuluis, et nous gagnerons facilement les deux cents livres de M. Bigot.

Ils firent silence tout en accélérant le pas.

— Ah ! diable, qu’est-ce que c’est que ça ? fit tout à coup Regaudin en s’arrêtant net.

— Fichtre ! le poste… murmura Pertuluis.

Devant eux les deux grenadiers distinguaient assez clairement deux silhouettes humaines qui, armées de fusils, les tenaient en joue. Ils étaient arrivés devant la Porte Saint-Louis.

— Biche-de-bois ! grommela Regaudin, j’ai oublié le mot de passe.

— Moi aussi, grogna Pertuluis.

— Allons ! qui êtes-vous ? interrogea une voix dure.

— Si on leur passait sur le ventre ? souffla Regaudin.

— Peut-être bien. Mais attends un peu, on va voir.

Il éleva la voix pour déclarer avec emphase :

— Dites donc, les amis, je suis le Chevalier de Pertuluis accompagné de son écuyer, le sieur de Regaudin, et je suis envoyé en mission importante pour le compte de monsieur l’intendant-royal !

— Oh ! oh ! fit l’une des sentinelles. Et monsieur l’intendant ne vous a pas dit le mot de passe ?

— Pardieu, s’il nous l’a dit ! Même que c’est, la première chose qu’il nous a dite d’intéressant, répondit Regaudin. Mais comme il avait, à nous conter par après quelque chose de plus intéressant encore, il est arrivé que la première chose nous a échappé, et que…

— Seulement, interrompit placidement Pertuluis, comme notre mission n’est pas bien bien pressée ni pressante, on pourrait retourner sur nos pas et aller le lui demander, si c’est un effet de votre complaisance, les amis…

— Et si pendant notre absence, acheva Regaudin, vous avez soin de ne pas vous endormir afin de nous tenir la porte ouverte…

Les deux gardes s’entretinrent en voix basse durant quelques secondes, puis l’un d’eux demanda :

— Ce mot de passe, que vous aurait donné monsieur l’intendant, se serait-ce pas… Caril…

— Carillon !… clama tout à coup Regaudin comme un tonnerre.

— Pan ! pan ! voilà ! hurla Pertuluis… Carillon !

— Carillon !… je crois bien, reprit Regaudin en ricanant, c’est justement de là qu’on arrive !

— Tiens ! firent les deux gardes ravis, vous en étiez donc aussi ?

— Ah ! ça, battez un peu le briquet, dressez le luminaire et voyez ! dit hautement Pertuluis. Nous étions dans les grenadiers !

Il fit un grand geste comme s’il eût voulu embrasser ciel et terre.

Les deux gardes s’approchèrent.

— C’est vrai ! murmura l’un d’eux à l’autre, j’ai vu ce museau là-bas.

Il désignait Pertuluis.

— Et moi, je me rappelle cette musette…

L’autre garde indiquait Regaudin.

Or Pertuluis disait bas à Regaudin :

— S’ils balancent un peu, Regaudin, enfourchons-les rapidement !

— Je glisse… Pertuluis.

— Et j’extirpe… Regaudin.

Tous deux avaient à demi dégainé.

Mais à cette seconde même les deux sentinelles s’effaçaient, disant :

— Vous avez bien le mot de passe… Carillon !

L’une d’elle cria aussitôt dans la direction de la porte sombre un peu plus loin :

— Porte !…

Les deux bravi s’avancèrent vers la Porte qu’un portier ouvrait déjà.

— À la revoyure, les amis ! cria Petuluis.

Un de ces soirs on s’infusera un carafon à la santé !

Au portier Regaudin jeta un écu.

— Tiens ! mon brave, tu honoreras le chevalier de Pertuluis et son écuyer en te vidant un poulet dans le tronc !

Le portier s’inclina jusqu’à terre.

Les deux amis dévalèrent sur la route qui descendait vers la campagne sombre et solitaire.

La lune venait de se hausser au-dessus des murs de la cité. Sa lueur blanche jeta un demi-jour sur la route, les taillis et les bosquets dépouillés de leur feuillage.

— Allons ! j’aime mieux ça, dit Pertuluis avec satisfaction, on y voit mieux à l’avance.

— Seulement, dit Regaudin à son tour, cela fait des coins sombres çà et là et des pans