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LA BESACE DE HAINE

Puis il aurait vu le même mendiant, armé d’un bâton noueux, se frayer un chemin au travers des gardes pris par surprise, bondir jusqu’au péristyle, pénétrer dans le vestibule, se ruer dans la grande salle et crier avec un accent de désespoir impossible à dépeindre :

— Flambard !… Flambard !…

Mais non, Jean Vaucourt n’avait pas vu, il n’avait pas même entendu ce cri du mendiant, qui n’était autre que le père Croquelin essoufflé, ahuri, épouvanté, tant il était occupé à regarder Flambard en train de croiser le fer avec Verdelet. Et Héloïse, qui venait de quitter Jean Vaucourt pour se rapprocher de Flambard et de Verdelet, n’avait pas vu ni entendu non plus ! Et Flambard lui-même n’avait pas entendu cet appel désespéré du père Croquelin.

Le père Croquelin, cependant, allait s’élancer vers Flambard… mais un garde à cet instant pénétrait vivement dans la grande salle et d’un coup de poing fortement asséné envoyait rouler le vieux sur le parquet.

À cette seconde les rapières des deux combattants cliquetaient vivement, car Flambard attaquait avec une extrême violence et une rapidité vertigineuse. Puis il disait :

— Ah ! vermine, j’aurais bien dû te laisser la corde au cou ! Voilà comment tu me récompenses, chien !

Verdelet n’attaquait pas. Il retraitait vers la petite salle où demeurait toujours immobile et impassible en apparence le personnage vêtu de noir. Flambard suivait le garde pouce à pouce essayant de le frapper à mort, pour arriver plus tôt à cet autre personnage qu’il croyait deviner. Et Verdelet allait sûrement être embroché par la rapière de Flambard, bien qu’il réussit, par sauts et par bonds, à esquiver les coups du spadassin, lorsque soudain un gong invisible retentit.

Verdelet poussa un cri, mais c’était un cri de joie, un cri de délivrance !

Flambard poussa également un cri, mais un cri de surprise !

Et un cri poussèrent aussi Vaucourt et Héloïse, mais un cri de terreur !

Car au bruit du gong, à l’instant même où Flambard mettait les pieds dans la petite salle obscure, une corde tenue par une main invisible descendit au-dessus de la tête de Flambard, et cette corde, avec son extrémité en nœud coulant, s’enroula autour du cou du spadassin !

D’un bond gigantesque Verdelet se précipitait sur Flambard qui venait d’échapper sa rapière et ajustait la corde… Mais au même instant le personnage en noir au fond de la petite salle, faisait un geste…

Sous les pieds de Flambard le plancher s’enfonça, s’effondra, et le spadassin disparut dans un gouffre avec la corde enroulée autour de son cou et en poussant un cri affreux !

Mais un autre cri non moins terrible répondit à celui de Flambard, et ce cri venait d’être jeté par Verdelet…

Au moment, à la seconde même, pour être plus juste, puisque cette scène n’avait duré en tout que quelques secondes, où le spadassin s’engouffrait dans le trou… un abîme où l’on pouvait voir des flammes ardentes rugir et se tordre… un trou qui ressemblait à l’enfer, Flambard avait happé un bras de Verdelet et l’avait entraîné avec lui !

À la même seconde encore, Héloïse, qui se trouvait presque sur le seuil de la porte séparant les deux salles, ramassa rapidement la rapière de Flambard demeurée sur le bord du trou et d’un coup sec trancha la corde qui s’était attachée au cou du spadassin.

Puis, elle se recula dans un bond… Il était temps : les deux panneaux de la porte, glissaient de nouveau dans les murs et se refermaient avec un bruit d’acier.

À ces bruits divers, à ces cris, le père Croquelin s’était relevé et s’était rué vers Jean Vaucourt qui demeurait comme statufié.

— Holà, capitaine ! rugit l’ancien mendiant, que faites-vous ici dans cet enfer… fuyez !

Jean Vaucourt, le front inondé de sueurs, blême comme la mort, frémit longuement, puis il promena autour de lui des regards égarés. Il aperçut dans la porte latérale ouvrant sur le vestibule des gardes et des cadets de Bigot l’épée nue à la main.

Il fit entendre un rugissement, et, avant de bondir sur l’ennemi qui semblait là le narguer, il voulut prendre son épée… il s’aperçut avec surprise qu’elle manquait au fourreau.