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LA BESACE D’AMOUR

vèrent face contre face, souffle contre souffle. Ils se regardèrent une seconde, terribles tous les deux.

Flambard rompit le silence qui venait de se faire.

— Ah ! diable de baron, vous m’en direz tant à la fin ! Vous possédez donc des trucs dont il importe de se défier ! Mais je m’appelle Flambard, vous savez, et on ne me la joue qu’une fois celle-là !

Il exécuta un bond en arrière pour se retrouver aussitôt en garde ; et les deux lames s’engagèrent à nouveau.

Le baron demeurait silencieux, tout à son jeu qu’il était. Mais l’éclat de ses yeux sombres en disaient long… ils étaient effrayants à voir. Flambard ricanait toujours.

— Puisque c’est ainsi, monsieur le baron de Lardinet, reprit-il, nous allons voir à vous désarmer gentiment.

Par quelques passes vives et rapides Flambard essaya de faire sauter l’épée des mains du baron, mais sans réussir. Il s’en étonna grandement.

— Par les cornes de Lucifer ! jura-t-il, vous avez la poigne solide… enchanté ! Et puisque c’est encore ainsi, essayons d’une petite saignée !

Par une feinte en prime Flambard dégagea son épée ; le baron crut voir venir un coup à la tête. Mais dans la seconde même et avec une rapidité qui tenait du prodige, Flambard en quatre abaissa son épée et atteignit le baron à l’épaule droite.

Le baron bondit en arrière, avec un cri de rage, puis retomba en garde, à la grande surprise de Flambard, attaqua, exécuta une feinte savante et tenta un coup droit. Mais à la seconde même l’épée de Flambard voltigea si rapidement, si fantastiquement que le baron s’y perdit tout à fait, si bien que son épée lui sauta des mains pour aller rejaillir contre un mur avec un bruit métallique qui fit grincer des dents le garde, spectateur silencieux et stupéfié de cette lutte fantasmagorique.

Flambard maintenant son épée à un pouce de la gorge du baron. Il dit :

— Maintenant, monsieur le baron de Lardinet si vous ne tenez pas à vomir sur-le-champ tout votre sang maudit, ne bougez pas !

Le baron, haletait, ruisselait, rugissait.

Flambard lui-même était en sueurs ; jamais de sa vie il n’avait joué un jeu aussi serré et aussi rude. Il ne put s’empêcher de complimenter le baron.

— Ma foi, dit-il, je rends hommage à votre habileté, monsieur le baron, vous êtes une fière lame, et avec dix ans plus jeune vous seriez invincible !

— Que voulez-vous de moi ? demanda le baron d’une voix sourde et essoufflée.

— Ah ! c’est juste, je vais vous le faire savoir.

Flambard fouilla la besace à son dos, en tira une courroie et commanda :

— Tendez vos mains !

— Non ! répondit le baron.

— Non ?… Flambard se mit à rire, doucement. Puis il lâcha son épée, sauta à la gorge du baron, le renversa, le coucha à plat ventre sur le plancher, lui ramena les mains au dos et les lia proprement. Cela fait, et comme il restait un bout de courroie assez long, Flambard coupa ce bout de courroie et en ligota solidement les deux pieds du baron. Il se releva ensuite, satisfait, et du pied, tout comme on pourrait pousser un mauvais paquet quelconque, il retourna le baron sur le dos.

— De la sorte, ricana-t-il, on va pouvoir régler nos petites affaires en paix !

Il tourna le dos au baron et alla au garde qui demeurait toujours attaché au plafond.

— Et toi mon gaillard, je parie que tu baiserais ardemment le goulot d’un flacon de vin, n’est-ce pas ?… Que la peste noire étouffe ton ancien maître ce baron de Lardinet… ce qu’il m’a donné une corvée ! Mais ce qui pis est, il allait te laisser là crever de faim et de soif. Attends ! tu vas voir que le sieur Laurent-Martin Flambard est doué du cœur le plus généreux, de l’âme la plus charitable.

Il ôta la besace de son cou et la fouilla pour en tirer un flacon de vin, un morceau de fromage et une brioche. Il fit lestement sauter le bouchon du flacon, fit boire le garde largement puis bouchée à bouchée lui donna à manger tour à tour du fromage et de la brioche. Lorsque le garde eut avalé et brioche et fromage, lorsqu’il eut bien nettement vidé le flacon de vin, Flambard reprit :

— Mon garçon, tu ne m’en voudras pas de prendre avec toi encore quelques précautions. Je vais donc te rappliquer ton bâillon, car il faut que je m’absente. Mais prends patience, je vais revenir. Si tu te montres un tant soit peu gentil, tu ne crèveras pas tout à fait ! Seulement, s’il arrivait que je ne revinsse plus du tout, je te conseille de recommander ton âme à Dieu et de mourir en paix ! Je connais certain abbé qui, sur ma prière, priera pour le repos de ton âme !

Tout en parlant ainsi, mais sans moquerie, avec la plus grande sincérité, il bâillonnait le garde.

Sur le plancher, à cinq pas, le baron demeurait étendu, muet, immobile, mais avec des yeux chargés de lueurs terribles et qu’il tenait obstinément fixés sur Flambard.

Lui, haussa les épaules, ricana, et se mit à passer en revue les objets autour de lui, tout en murmurant :

— Que ferai-je bien de cet animal qui a failli me faire regarder de l’autre côté ?…

Il aperçut près de la porte de sortie un gros tonneau juché sur un chevalet. Il s’en approcha, constata que le tonneau était à moitié rempli d’eau, et parut réfléchir.

Il parut prendre bientôt une décision. Il souleva le tonneau et sourit. Puis il ouvrit la porte, enleva le tonneau dans ses bras et alla en vider le contenu sur la chaussée. Il rentra dans la maison disant :

— Superbe !… Seulement, je ne pourrai achever cette besogne cette nuit, il faut que je m’absente de suite pour me rendre chez le père Croquelin y pratiquer de mon rebec. Mais demain soir…

Il s’interrompit pour aller déposer le tonneau dans un coin de la pièce. Puis il vint au baron le souleva, l’emporta jusqu’au tonneau dans lequel il le laissa tomber. Dans la besace il prit un marteau — ce marteau qu’il y avait vu avec Jean Vaucourt près de la maison en cendres du comte de Maubertin — décloua une planche d’une cloison, la cassa en trois bouts inégaux, en arracha les clous et sur le tonneau posa soigneusement les trois bouts de planche, pré-