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LA BESACE D’AMOUR

lader la Haute-Ville, l’envahir, l’emporter sans coup férir, tel un ouragan qui passe, gronde, brise, s’enfuit vers d’autres horizons.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

On remarquait sur la rue Buade l’enseigne d’une auberge qui représentait, par une peinture un peu grossière, une déesse élevant vers le ciel une coupe remplie d’une liqueur vermeille ; sous les pieds de la déesse, qui semblait se dresser sur un roc environné d’une eau moutonneuse, on lisait cette inscription en grosses lettres d’or :


« Aux dieux de l’Olympe ! »


Et cette enseigne bizarre, lorsque le vent s’engouffrait dans la rue Buade, se balançait capricieusement au-dessus de la rue. Quant à l’auberge, on l’appelait simplement L’OLYMPE.

La devanture de cette auberge était faite en forme de véranda, et des tables et des sièges y étaient disposés pour recevoir les passants qui désiraient ou se rafraîchir ou se fortifier.

Pendant que défilaient les bataillons du roi, pendant que le peuple acclamait ou grondait, pendant que gentilshommes et dames laissaient éclater leur joie, devant l’auberge de L’OLYMPE, assis aux tables de la véranda, de jeunes officiers de la maison de M. de Vaudreuil et des cadets de la maison de Monsieur Bigot buvaient largement le vin de France, tout en discourant à voix retentissante, tout en riant aux plus grands éclats.

Le dernier bataillon, celui de la Sarre, venait de passer.

— Eh ! de Loys, dit un officier à un jeune seigneur à cheveux blonds, bouclés et parfumés, aux mains fines et blanches comme celles d’une femme, à l’attitude fière et dédaigneuse et qui pérorait avec importance, — que ne donnerais-tu pour commander des soldats comme ceux-ci ?

— Mon cher de Coulevent, je ne donnerais pas un denier !

— Pas un denier !

— Non pas le moindre… attendu que, présentement, je ne désire nullement commander des soldats, fussent-ils des soldats de César !

— Oh ! oh ! fit le jeune officier, que le jeune seigneur avait appelé de Coulevent, qui eût pensé que M. le vicomte de Loys n’aurait plus de goût pour les grands soldats de France !

— Quoi ! de Coulevent, répliqua un autre avec une légère ironie, ne savons-nous pas que le sang de notre ami de Loys se refroidit !

Le jeune seigneur se contenta de sourire avec un air entendu.

— Bah ! s’écria un autre, on voit bien que vous ne connaissez pas de Loys !

— Si clama un cadet de la maison de M. Bigot, on connaît de Loys pour un brave !

— Par Notre-Dame ! répliqua de Loys avec orgueil, voilà bien la vraie vérité !

— Et si, présentement, continua le cadet, le vicomte de Loys ne désire pas faire la guerre aux Anglais, c’est pour le motif plus réjouissant de faire la guerre aux amoureux de…

— Bravo lança une voix forte parmi les cadets.

— Buvons à l’amour ! clama un gentilhomme de la maison de M. de Vaudreuil.

— À la déesse du Château !

— Ô Bourgogne !

— Ô Nectar !

Il y eut éclats de rire formidables, des chocs de cristal, des lampées énormes de vin rutilant, puis un autre cadet, grimpant d’un bond sur un tonneau, jeta en levant sa coupe vide :

— Buvons à la belle Marguerite de Loisel !

— Silence ! commanda de Loys avec un regard sévère au cadet imprudent.

— Pardon ! monsieur le vicomte, dit le cadet un peu confus… je ne pouvais m’imaginer…

— C’est bon ! dit rudement de Loys. Messieurs ajouta-t-il aussitôt, afin qu’on n’eût pas le temps de deviner les sentiments intimes qui l’agitaient depuis que le fâcheux cadet avait porté la santé de Marguerite de Loisel, nous allons boire à présent…

Il fut interrompu par un son de huées qui partaient d’une ruelle à quelques pas de là, puis aux huées se mêlèrent des cris de colère, des vociférations. Et soudain de la ruelle une troupe de peuple agité, courant presque, hurlant, dévala dans la rue Buade et du côté de l’auberge du côté du Château Saint-Louis.

— Hé ! par le diable ! cria de Coulevent, que signifie ce flux ?

— Et ce reflux ? ajouta un autre en éclatant de rire.

— Pardieu ! cria un cadet, c’est du peuple qui se soulève !

Tous les gentilshommes et officiers déposèrent vivement leurs coupes, posèrent la main sur la garde de leurs épées et dirigèrent leurs regards curieux et inquiets vers cette houle de peuple qui accourait, roulait avec un bruit de vague géante.

Et de cette vague humaine, une voix forte clama :

— À bas les suppôts de la Pompadour !

Le peuple venait d’apercevoir les gentilshommes et les cadets de M. Bigot.

Des hurlements s’élevèrent, des cris de menace et de mort. Oui, cela ressemblait fort à une révolte de peuple… d’un peuple courant vers une Bastille ! Mais ce peuple-là s’en allait au Château Saint-Louis !

La même voix forte — voix de tonnerre — de l’instant d’avant se fit encore entendre, plus menaçante :

— Mort à la Pompadour !

Le peuple arrivait à l’auberge, en course échevelée, en ruée folle.

— Rébellion ! clama de Coulevent.

— Ohé ! gentilshommes du roi ! cria le vicomte de Loys, en tirant son épée.

— Vive le roi de France !

— Vive Madame de Pompadour !

Quinze épées jaillirent des fourreaux, quinze bras jeunes et forts se tendirent, et la foule du peuple, devant cette barrière d’acier, s’arrêta, haletante.

— Place ! rugit une voix jeune, ardente. Place ! stipendiaires de Bigot !

Et le jeune homme en soutanelle, que nous avons vu rue Sault-au-Matelot haranguer le peuple, s’avança, bras croisés, le regard étincelant, et, défiant, posa sa poitrine contre les pointes des épées menaçantes.

Un long éclat de rire partit du groupe des quinze gentilshommes.

— C’est le clerc de notaire ! ricana un cadet.