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LA BESACE D’AMOUR

Elle frissonna, une épouvante superstitieuse lui serra le cœur. Tout de même elle sortit sur le porche, ses filles de service n’osant la suivre. Elle descendit lentement les trois marches de pierre, s’arrêta à un pas de l’homme aplati sur le sol, se pencha, puis, avec un cri de surprise indicible, elle se releva. Ses lèvres murmurèrent avec la plus profonde stupéfaction ce nom :

— Jean Vaucourt !…


CHAPITRE VI

LA SUITE DE L’AVENTURE DE JEAN VAUCOURT


Marguerite de Loisel demeurait muette, immobile, frissonnante. La rage, la haine, la vengeance n’étaient plus dans ses regards noirs et lumineux ; une immense pitié montait de son cœur de femme, une indicible sympathie s’emparait de son âme, un attrait puissant la retenait près de ce jeune homme, inanimé et blême à présent, mais qu’elle avait vu si beau, si fier, si courageux dans sa noire soutanelle ! Mais elle le revoyait encore beau dans son évanouissement, avec sa pâleur plus amplifiée à la clarté tremblotante et blafarde des bougies, toujours aussi fier sans son costume de capitaine des milices !

— Jean Vaucourt !… prononcèrent encore ces lèvres en un murmure très doux.

Ses yeux devinrent plus ardents à mesure qu’elle le contemplait plus longuement. Sa pensée mit en parallèle ce beau capitaine de source routière avec le jeune gentilhomme qu’elle allait épouser. Et le premier semblait l’emporter sur le dernier. Ce vicomte de Loys mais elle ne l’aimait que pour son titre de noblesse, et la fortune énorme qu’éventuellement lui laisseraient ses parents en France ! Mais ce sentiment n’était pas de l’amour… c’était de la convoitise ! Tandis que celui-là qui gisait à ses pieds, inconscient, celui-là, il lui semblait qu’elle l’aimait véritablement pour ce qu’il était. Elle l’eût aimé pour sa beauté mâle, à cause de ses vertus d’homme qui lui créaient une noblesse bien autrement enviable que les noblesses issues souvent d’une simple ordonnance royale ! Et, un moment, son regard plein de pitié attendrie se chargea d’amour !…

L’amour !…

Comme ce sentiment laissait en son âme une suave quiétude ! Quel transport de joie inouïe la faisait soudain tressaillir dans toutes les fibres de son être ! Mais…

Oui, mais l’attrait de la richesse et du rang demeurait quand même, il combattait la séduction de l’amour ! Elle imaginait toutes les qualités de cœur et d’esprit dont était sertie la nature de ce jeune homme, tel un bijou de pierres précieuses ! Mais avec le désir du rang, du luxe, du faste, elle ne pouvait de ces qualités apprécier toute la valeur, et elle ne pouvait s’avouer que ce capitaine, obscur et pauvre, possédât réellement ce qui pouvait assurer le véritable bonheur d’une femme ! Il lui semblait hélas ! comme il semble à trop de femmes, que le bonheur ne peut être hors des titres et de la fortune ! De splendides visions lui faisaient tout à coup entrevoir la cour fastueuse du roi de France où un titre de noblesse lui donnerait entrée ! Et tout à coup aussi, son ardent désir de paraître et de briller fit fondre en la durée d’un souffle l’amour naissant, si bien que dans son cœur comme dans ses yeux il ne demeura plus que la pitié !

Et cette pitié parut s’accentuer quand Marguerite découvrit que le jeune homme avait été blessé d’un coup de poignard. De suite sa pensée alla à son père qu’en elle-même elle accusa d’avoir frappé Jean Vaucourt ! Mais lui… par quel hasard s’était-il trouvé là, sur le passage du baron ? Quel événement, quel instinct, quelle volonté, l’avait conduit à l’habitation de Marguerite de Loisel ? Là se posait pour la jeune fille un problème qui l’intrigua. Mais il importait tout d’abord de secourir le jeune homme ! Qui sait ? cette blessure qu’on lui avait infligée pouvait être très grave ! Marguerite voyait bien que le capitaine vivait encore mais il pouvait mourir ! Cette pensée la fit frissonner, et son cœur lui cria qu’elle ne pouvait le laisser mourir, qu’elle devait le sauver… le sauver à tout prix !

Elle appela ses filles de service.

— Venez, commanda-t-elle, la voix méconnaissable, relever ce pauvre jeune homme, et essayez de le transporter dans mon boudoir !

Les jeunes filles, rassurées maintenant, s’approchèrent. En réunissant leurs forces, le fardeau demeurait encore très lourd ! Néanmoins, après d’héroïques efforts, elles parvinrent à traîner Jean Vaucourt jusqu’au boudoir de Marguerite et à le déposer sur un divan.

De suite la fille du baron mit la blessure à nue, mais elle constata avec satisfaction et joie que rien n’était grave, et que le jeune homme, après quelques soins attentifs aurait vite repris ses forces d’avant. Elle se fit apporter de l’eau tiède, des médicaments, des onguents fit couler dessus des huiles antiseptiques et posa un bandage que nul médecin ou chirurgien n’eût mieux réussi.

Jean Vaucourt revient à lui, releva ses paupières lourdes et aperçut Marguerite de Loisel penchée sur lui.

Il sourit en balbutiant ce mot de reconnaissance :

— Merci !

Il referma les paupières et parut tomber dans une sorte de doux assoupissement.

Debout, un peu pâle, Marguerite retomba dans sa contemplation de l’instant d’avant. Encore une fois elle accusa son père de cette tentative de meurtre ! Ce crime lui paraissait si inutile qu’il en était plus atroce à ses yeux. Car, quel mal avait fait ce jeune homme au baron de Loisel ? Quelle menace pouvait-il être pour lui ? Aucune. Certes, elle savait que Jean Vaucourt avait accusé publiquement des serviteurs du roi ; mais n’en avait-il pas le droit ? Assurément ! Car elle les connaissait aussi ces serviteurs, qui étaient une gangrène affreuse contre laquelle il importait à tout homme d’honneur, à tout citoyen aimant son pays, de protéger la société ! Marguerite elle-même pouvait accuser hautement ces mêmes serviteurs, car elle connaissait leurs actes malfaisants, car elle devinait leurs machinations frauduleuses, car elle découvrait leurs trames infâmes ourdies et sans cesse renouvelées contre le bien public, contre l’honneur de la France ! Elle les connaissait tous, elle les coudoyait tous, et elle savait que tous, à part quelques subalternes trop craintifs où dont la naïveté