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LA BESACE D’AMOUR

Le mendiant n’en pouvait revenir, et il ne pouvait perdre non plus sa figure tout ahurie et terrifiée à la fois.

— Et vous qui êtes sorcier, monsieur Flambard, dit le mendiant après un moment de silence, vous ne pouvez pas voir au travers de ça ?

J’y vois quelque chose, répondit Flambard avec un sourire dubitatif, mais j’y vois trouble. Il y a là un écheveau…

Il fut interrompu par l’entrée soudaine du sieur Delarose qui s’approcha de la table, courbé et tout plein de respect.

— Monsieur Flambard, annonça t-il, un domestique de monsieur le baron de Vaudreuil vous apporte un message. Si voue permettez, je ferai introduire…

— Certainement, certainement… coupa Flambard.

L’aubergiste se retira pour introduire la seconde d’après un commissionnaire.

— Ah ! ah ! dit Flambard en toisant le domestique tout tremblant devant ce terrible gaillard dont il savait les extravagants exploits, tu viens de la part de monsieur Rigaud ?

— Oui, monsieur Flambard. Il m’a chargé de vous remettre en mains propres ce pli.

— Y a-t-il réponse à faire sur le champ ?

— Non, monsieur,

— C’est bien. Dis au sieur Delarose de te servir une bouteille de vin que tu boiras à ma santé.

Le domestique s’inclina, remercia et sortit.

Flambard, d’une main calme, brisa les sceaux à cachets rouges du pli, en retira une missive ainsi conçue :

« Monsieur Flambard, le Marquis de Vaudreuil me fait tenir de Montréal des parchemins signés du nom du roi de France et venus par le courrier du commencement de ce mois de septembre, concernant monsieur le comte de Maubertin. Je vous prie donc de vous rendre, demain, au Château où j’aurai le plaisir de vous faire part de ces parchemins.

Rigaud de Vaudreuil.

— Ah ! ah ! murmura Flambard avec un sourire satisfait, je commence à penser que le bon roi le Bien-Aimé s’est décidé enfin à rendre justice à l’un de ses meilleurs gentilshommes et de ses plus dévouée serviteurs. C’est bon, j’irai demain au Château Saint-Louis. Père Croquelin, ajouta-t-il, buvez encore à ma santé, à celle de monsieur le comte, et à celle du roi de France ! Puis, nous ferons largement honneur à ces mets qui, ce me semble, commencent à se refroidir.

Ici, nous laisserons Flambard et le mendiant achever tranquillement leur dîner, et nous reviendrons sur nos pas pour savoir ce qu’était devenu Jean Vaucourt.


CHAPITRE V

L’AVENTURE DE JEAN VAUCOURT


On se rappelle qu’au moment où Flambard et Jean Vaucourt allaient s’engager sur la rue Sault-au-Matelot des gardes avaient subitement surgi dans l’obscurité pour se jeter, l’épée au poing, contre les deux amis. Flambard, pour éviter d’être attaqué par en arrière, avait fait un saut de recul et s’était accoté contre le mur d’une maison. De ce fait, les deux amis s’étaient trouvés séparés, et la minute d’après Jean Vaucourt était brutalement poussé sur la rue Sault-au-Matelot, renversé par un croc-en-jambe et solidement maintenu sur le pavé par un individu à la poigne solide. Jean Vaucourt tenta, dans un effort suprême, de glisser sa main dans la besace à son cou pour y prendre le poignard qu’elle contenait. Mais à l’instant même l’individu lui plongeait une dague dans la poitrine, puis, en ricanant sinistrement, il enlevait la besace, se relevait et prenait la fuite. Mais Jean Vaucourt avait vu les traits grimaçants de haine et de vengeance de l’individu, il avait reconnu le baron de Loisel.

Et lui, le baron, fuyait vivement avec la besace, tandis que Jean Vaucourt demeurait seul, abandonné, avec une lame aiguë plantée dans son sein. Le baron s’en allait avec la certitude de laisser derrière lui un cadavre.

Eh bien ! non. Jean Vaucourt se releva aussitôt… il se releva aussi fort, aussi vigoureux que la minute d’avant. Seulement, il sentait quelque liquide froid couler de sa poitrine le long de son corps, et il sentait sa chemise se tremper dans ce liquide. N’importe ! il ne ressentait aucune douleur, aucune faiblesse, et il pensa que l’arme agressive n’avait tout au plus fait qu’une égratignure sans importance, attendu qu’elle avait été mal dirigée. Et il s’élança sur les traces de l’homme qu’il avait cru reconnaître pour le baron de Loisel.

Mais ce qui intriguait le jeune capitaine, c’était de savoir le baron en liberté, lui qui avait été arrêté et commis à la surveillance de l’intendant en attendant que le gouverneur donnât des instructions à son sujet.

Ce n’était pas le temps aux problèmes pour Jean Vaucourt, il voulait s’assurer qu’il n’avait pas eu la berlue, que cet homme était bien le baron, et savoir pourquoi on avait tenté de l’assassiner. Et puis, on ne reçoit pas ainsi un coup de dague, même s’il est maladroitement donné même s’il est manqué, sans se sentir l’envie d’en tirer représailles et d’en donner châtiment. Aussi Jean Vaucourt, essayait-il de ne pas perdre de vue l’homme qui fuyait vers la Haute-Ville, par des ruelles obscures, par des détours, comme s’il eût eu peur d’être reconnu des passants.

Au bout d’une demi-heure, le jeune capitaine vit l’homme s’arrêter devant une petite maison entourée d’un enclos, dont quelques croisées seulement étaient illuminées. Alors seulement le jeune homme s’aperçut qu’il se trouvait rue Saint-Louis.

La rue était noire. Un unique réverbere l’éclairait vers le milieu, et non loin de la petite maison que le père Croquelin eût parfaitement reconnue pour la petite maison bleue dans laquelle avait été transportée, près de deux mois auparavant, Mlle de Maubertin.

Quand Jean Vaucourt se fût approché de la maison, l’individu déjà était entré à l’intérieur.

Avec beaucoup de précautions le jeune homme pénétra dans l’enclos et s’approcha d’une fenêtre du rez-de-chaussée que ne protégeaient à l’intérieur que de légers rideaux de tulle blanc.

Mais avant d’atteindre la fenêtre il fut pris d’un étourdissement qui faillit le renverser. Il se raidit. Il posa une main sur sa poitrine de laquelle se dégageait maintenant une chaleur cuisante. Il murmura avec inquiétude :