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LA BESACE D’AMOUR

soir, alors que vous-même, le père Achard et moi nous étions réunis, vous nous avez grandement émus par les harmonies de cette agréable musique. Et si je me rappelle bien encore, je pense que je vous ai chaudement félicité ?

— Parfaitement. Et bien ! il paraît que j’ai su également intéresser monsieur Cadet qui, par l’un de ses domestiques, m’a fait prier d’assister à la fête et d’y jouer de ma viole. Il m’a même fait savoir qu’il serait enchanté de m’y voir emmener un ou deux autres musiciens. Eh bien ! monsieur Flambard, vous serez l’un !

— Moi ! s’écria Flambard, ébahi. Mais je ne joue jamais de la viole.

— Bah ! Je possède un vieux rebec duquel je vous apprendrai à tirer quelques sons et quelques accords.

— Mais, je n’ai jamais tiré d’autres sons que d’une bonne lame d’épée !

— Je vous dis que je vous apprendrai… D’ailleurs, vous avez tout ce qu’il faut pour faire un ménétrier parfait !

Flambard se mit à rire.

— Voyons ! que décidez vous ? demanda le père Croquelin.

— Pardieu ! répondit Flambard en continuant de rire, je décide que j’accepte. Par les deux cornes du diable ! spadassin, bretteur, chevalier de la Flamberge, moi, Martin-Laurent Flambard, déclama-t-il, et demain l’on me verra chevalier de la viole et du rebec, violoneux, rebecard, violon… lon-lon !

Il éclata d’un grand rire et s’écria en saisissant une bouteille :

— Père Croquelin, buvez à la santé de monseigneur Flambard, ménestrel et rebecard !

— Oh ! ne riez pas, reprocha doucement le mendiant, c’est sérieux !

— Comment ! si c’est sérieux… c’est même grave, père Croquelin, et je vous garantis que vous ne trouverez jamais compère en musique pour mieux vous appuyer ! Mais, dites tout de même, il sera bon que je m’enfarine de quelque façon, que je ne sois pas reconnu de toute cette bande de croquants qui riraient trop de me plumer pour faire de ma peau des vessies à chandelle !

— Tut ! tut ! fit le père Croquelin. Demain je vous présenterai comme un mien confrère en besace !

— Parfait ! s’écria joyeusement Flambard. Ah ! ce que j’aimerais voir la figure de monsieur Bigot… Car il y sera aussi monsieur Bigot ? n’est-ce pas, père Croquelin ?

— S’il y sera… se mit à ricaner le mendiant ça ne se demande même pas. Écoutez : Bigot — trait d’union — Cadet ! Comprenez ? Inséparables en plaisirs comme en affaires. Donc c’est entendu, pour demain soir ?

— Entendu, père Croquelin, répondit Flambard redevenu sérieux. Mais n’avez-vous pas dit ; deux ou trois musiciens ?

— Si fait. Nous sommes deux déjà ; quant au troisième…

— Avez-vous, interrompit Flambard, un deuxième rebec ou une deuxième viole ?

— Non… mais il est facile de me procurer l’un ou l’autre de ces instruments.

— En ce cas, je pense que j’ai trouvé votre troisième ménétrier.

— Vraiment ?

— Jean Vaucourt !

— Hein ! le fils de…

— Lui-même. Vous avez appris nul doute qu’il est à présent capitaine dans les milices canadiennes ? Ah ! fit tout à coup Flambard en se frappant rudement le front, où donc ai-je la tête ? J’oublie, père Croquelin, de vous communiquer un évènement terrible qui vient à peu près de se produire.

— Est-ce que cela a rapport à…

— Oui. Mais vous ne savez pas une chose, malgré votre flair de mendiant : le père Vaucourt a été ce jourd’hui assassiné d’un coup de poignard à la poitrine !

Le mendiant sauta sur son siège et ouvrit des yeux luisants d’horreur et démesurés.

— Vous ne me dites pas… fit-il d’un accent stupéfait.

— Je vous dis que cela s’est produit aujourd’hui même, entre cinq heures de relevée, et six, ou j’y veux perdre ma soif et ma faim !

— Par toutes les rocaquilles ! s’écria le mendiant abasourdi par cette nouvelle imprévue et inattendue… Mais, ça, c’est une rocambole, hein !

— Point ! point ! père Croquelin. Voici le bijou qui fit tourner le souffle à ce pauvre vieux !

Et Flambard exhiba le poignard marqué sur le manche des lettres F. L.

— Mais encore, où ça ? demanda le mendiant tout en examinant l’arme curieusement.

— Chez lui.

— Mais c’est en effet terrible ce que vous m’apprenez là. Tiens ! tiens ! fit-il avec un sourire, voilà un entrelacement de lettres fort curieux et fort curieuses !

— Juste. Et vous qui êtes lettré, père Croquelin, déchiffrez-moi ça !

— Heu ! heu ! lettré… vous y allez un peu vite, monsieur Flambard. Tout de même, il n’y a pas là un mystère de la Trinité !

— Non. mais il y en a un de dualité ! plaisanta Flambard.

— Par ma viole ! j’y lis un F. et une L. majuscule !

— Une aile de corbeau ? demanda Flambard, narquois.

— Tout juste… l’aile d’un Lardinet.

— Mais vous dites une L… Moi je dirais un L majuscule.

Le mendiant ricana.

— Oh ! Je sais bien que vous êtes plus lettré que moi, monsieur Flambard. Néanmoins, n’ai je pas raison, ou n’ai-je pas justement deviné ?

— Très justement, père Croquelin. Voilà donc une preuve à conviction ! Mieux que cela, ajouta-t-il aussitôt c’est peut être l’arme du châtiment !

— Oh ! je ne serais pas étonné que ce baron fût une vipère dangereuse.

— Un reptile ! un coquin plus raffiné en coquinerie que le diable coquin lui-même !

— Mais comment se peut-il faire que le père Vaucourt se soit fait un ennemi du baron ?

— Mystère… tout est mystère, père Croquelin. Écoutez.

Flambard se mit à narrer son excursion avec Jean Vaucourt dans l’après midi de ce jour, puis l’attaque dont ils avaient été l’objet à leur retour, la disparition soudaine et mystérieuse du jeune capitaine, et, enfin, la macabre trouvaille que lui, Flambard, avait faite, en la maison du père Vaucourt en la rue Sault-au-Matelot.