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LA BESACE D’AMOUR

quelque imposteur, qu’adviendrait-il ?… Et ce comte de Maubertin n’allait-il pas apparaître comme un ennemi dangereux !

Maubertin… se murmura-t-il en réfléchissant.

Oui, ce nom lui paraissait une menace !

Un mot de lui, un geste, un signe… la menace disparaissait et pour lui et pour le baron !

Lui ? Bigot ! intendant de la Nouvelle-France. Lui ? maître de la Nouvelle-France… Lui ? aussi puissant en Nouvelle-France qu’eût été le roi lui-même… Il haussa les épaules.

Allons donc ! se dit-il.

De sa volonté il apaisa le sentiment d’émoi qui l’avait un moment troublé. Il reconquit son audace, car l’audace était son jeu, c’était son meilleur atout, parce qu’il était un fort !… parce qu’il ne s’évanouissait pas pour un rien comme le baron de Loisel.

Il sourit à Flambard et demanda avec un accent suave :

— Vous êtes certain, monsieur, que derrière cette porte est le comte de Maubertin ?

— Faites ouvrir, répliqua Flambard, et vous verrez par vos propres yeux !

— Mais vous me commandez, je crois ! s’écria Bigot, offensé par le ton du spadassin.

Alors Flambard se haussa encore, fit un grand geste et dit :

— Je commande au nom du roi de France, Louis quinzième du nom !

Bigot pâlit et dit aux deux gardes qui demeuraient contre la porte :

— Ouvrez !

Alors le baron de Loisel poussa un rugissement, bondit jusqu’à la porte, bouscula Flambard qui manqua tomber, et une dague à la main, cria :

— Oui… ouvrez cette porte !

Il demeurait là, menaçant, terrible.

Bigot lui posa une main sur l’épaule et murmura :

— Calmez-vous, baron !

Comme s’il n’eût pas entendu, le baron cria encore :

— Ouvrez cette porte !

Avec le trouble qui existait parmi tous ces personnages dans l’indécision qui agitait tous les esprits, dans l’immobilité qui parut statufier tout le monde, les deux gardes, ne voyant personne s’opposer à l’ordre du baron, ouvrirent la porte.

Un homme parut dans le cadre de la porte, un vieillard, mais droit, vigoureux encore, grave et digne dans ses vêtements misérables ; et cet homme, croisant les bras, prononça :

— Bonjour, Lardinet !

Le baron bondit, la dague haute…

Mais la pointe d’une épée se posa sur sa gorge, et en même temps une voix nasillarde et menaçante dit :

— Un geste… un pas de plus, monsieur le baron de Lardinet, et je vous fais cracher votre âme de bandit !

Le baron recula devant l’épée de Flambard.

Bigot, alors s’effaça, s’inclina et dit sur un ton très respectueux :

— Monsieur le comte de Maubertin, je vous prie d’accepter nos excuses… c’est une méprise.

Encore une fois, François Bigot faisait valoir son talent de comédien.

Déjà le comte courait à sa fille et à sa sœur qu’il embrassait tour à tour. Et tandis que là, à deux pas, se déroulait une de ces scènes intimes que créent les attaches du sang et de la famille, scène que nous ne saurions traduire pleinement, Flambard saisit Jean Vaucourt par une main, l’attira à lui et dit :

— Monsieur, vous êtes libre de par l’ordre de monsieur le gouverneur !

Jean Vaucourt serra avec effusion la main de Flambard…


CHAPITRE X

QUI FAIT SUITE AU CHAPITRE PRÉCÉDENT


Cet événement avait eu un tel retentissement par le Château et bouleversé tellement la valetaille, que le plus grand désarroi régnait partout : gardes, portiers, valets de chambre, huissiers, maîtres d’hôtels, cuisiniers, marmitons, oubliaient leur service.

François Bigot était remonté au parloir où l’on voyait encore les deux gardes, perforés par l’épée de Flambard qui gisaient dans une mare de sang.

Le baron de Loisel, prisonnier, avait été confié à quatre cadets de l’intendant Bigot. Quant à sa fille, Marguerite elle était remontée à ses appartements aux étages supérieurs où ses deux femmes de chambre lui dormaient leurs soins.

Dans un antichambre attenant au vestibule le comte de Maubertin, sa fille et Mme  de Ferrière, ainsi que Flambard et Jean Vaucourt étaient réunis.

— Mon bon Flambard, disait le comte avec une forte émotion qui faisait trembler sa voix, que ne te devrai-je pas ! Tu viens de faire l’homme le plus heureux de la terre.

— Monsieur le comte, répondit Flambard avec modestie, je ne vous ai pas encore payé toute la dette que j’ai contractée envers vous.

— Mon père intervint Héloïse de Maubertin, avec un sourire reconnaissant à Flambard, dites-lui bien qu’il ne vous doit plus rien ; que, au contraire, c’est nous qui lui sommes redevables.

— C’est juste mon enfant. Ah ! si tu savais tout ce qu’il a fait pour me faire réhabiliter auprès du roi ! Un jour, je te conterai cela. Pour le moment nous avons autres choses à faire.

À Jean Vaucourt, qui se tenait un peu à l’écart, il fit signe d’approcher.

— Ma sœur, dit-il à Mme  de Ferrière, laissez-moi vous présenter monsieur Jean Vaucourt, un canadien de cœur, qui mérite toute votre estime. Ma fille, ajouta-t-il en se tournant vers Héloïse, monsieur Jean Vaucourt est un ami !

— Monsieur le comte, répondit Jean Vaucourt j’avais reconnu en vous un personnage de marque ; après avoir beaucoup estimé le mendiant qui prit ma défense contre les gardes du Château, j’admire maintenant le comte de Maubertin et je l’assure qu’il peut à l’avenir compter, lui et sa famille, sur mon entier dévouement et sur ma gratitude éternelle.

— J’accepte ce dévouement et cette gratitude, répondit le comte. À votre tour je vous demande d’accepter l’amitié de mon ami Flambard.

— Je suis d’autant plus heureux d’accepter cette amitié, sourit Jean Vaucourt, que mon-