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LA BESACE D’AMOUR

parce que lui Lardinet avait fait son devoir en obéissant aux instructions reçues, et il demandait que justice lui fût rendue… qu’il était dans la pénurie, que sa femme se mourait de chagrin, que sa fille s’anémiait faute d’aliments suffisants.

Ce fut le coup de foudre qui frappe quand, deux mois plus tard, la cour de Versailles demanda des comptes à M. de Maubertin et quand celui-ci vit Lardinet réinstallé dans ses fonctions de secrétaire de l’Intendance. Alors, le comte comprit l’affreuse machination dont il avait été victime. Il voulut parer le coup qui le frappait si rudement, mais il était déjà trop tard : trop tard parce qu’il était rappelé immédiatement en France et parce que Lardinet peu après sa réinstallation, se démettait de ses fonctions et disparaissait pour ne pas affronter des dangers que sa perfidie pouvait susciter contre lui-même.

Cependant, le comte de Maubertin ne voulut pas se rendre à l’ordre de la cour et quitter Pondichéry, avant d’avoir établi une enquête sur les malversations de Lardinet et ses impostures, et d’avoir réuni dans un long rapport, basé sur les témoignages les plus dignes de foi, les preuves qui militaient en faveur de sa probité et de sa loyauté au roi de France. Il lui fallut deux mois pour faire cette enquête et établir son mémoire. Malheureusement, il en fut pour ses peines : quand il fut prêt à partir pour la France, la cour de Versailles lui fit savoir que le roi avait confisqué tous ses biens, et que la Bastille le réclamait en attendant qu’il fût exposé en place de Genève.

On était alors au commencement de 1755.

La catastrophe pour Maubertin était complète. Il tomba dans un profond désespoir, surtout en songeant à sa fille. Que faire ? Que tenter pour se disculper ? Adresser immédiatement son mémoire au roi ? Oui, mais il faudrait attendre deux mois, trois mois… et, demeurer aux Indes, à Pondichéry surtout, c’était s’exposer à l’arrestation !

Sur les avis de M. de Lally-Tollendal, le comte de Maubertin décida de se lancer à la recherche de Lardinet, de le retrouver coûte que coûte de le démasquer, de le traîner aux pieds du roi et de lui faire avouer ses crimes et ses impostures.

Et, comme Lardinet, le comte disparut tout à coup de Pondichéry, et juste au moment où de Lally-Tollendal, gouverneur-général aux Indes, recevait l’ordre de mettre Maubertin aux arrêts.

Toutefois avant de disparaître, le comte avait chargé son ami, Flambard, du soin de sa fille et de sa sœur, et lui avait recommandé de les emmener toutes deux en Nouvelle-France, afin qu’elles ne fussent pas l’objet du mépris des gens de la cour de Versailles.


CHAPITRE VII

CHEZ M. BIGOT


Il était environ quatre heures et demie, lorsque le cabriolet portant Mme de Ferrière et Héloïse de Maubertin s’arrêta devant la demeure de M. Bigot, rue Saint-Louis. Cette maison n’offrant rien de bien remarquable à l’extérieur, elle possédait l’aspect ordinaire des maisons bourgeoises de la ville. Elle s’élevait au milieu d’un petit enclos planté de jeunes arbres qui commençaient leur feuillée.

Un domestique en grande livrée vint recevoir les deux femmes pour les conduire ensuite dans un parloir fort luxueux. Ce luxe contrastait formidablement avec les apparences extérieures presque modestes de la maison ; en outre, il étonnait le visiteur étranger et lui laissait entendre que M. Bigot devait faire de fort belles affaires pour se mettre une telle opulence. Cet appartement était surtout remarquable par sa collection de bibelots qui s’étalaient de toutes parts. Mais si, encore, M. Bigot n’eut possédé que cette maison… mais on savait qu’il s’était fait construire un superbe château dans la campagne environnante, et l’on savait que l’aménagement de ce château ne le cédait en rien au moindre des châteaux du roi de France. Cet étalage de luxe princier et de munificence — car on parlait souvent de festins et de fêtes splendides que donnait à des intervalles assez rapprochés l’intendant-royal, et cela dans un temps où les finances du pays étaient en fort mauvais état, et à une époque où la plèbe crevait de misère et de faim — avait fini par offenser le peuple et soulever son indignation. Parce qu’on savait que M. Bigot et sociétaires — et ceux-là étaient nombreux — pressuraient sur la plèbe à laquelle ils revendaient, à des profits scandaleux, les marchandises que le roi de France envoyait en Canada. Bigot et Cie s’étaient donc créé plusieurs bonnes sources de revenus qui leur permettaient de faire belle et grasse figure et de s’accorder toutes les jouissances terrestres, en autant, bien entendu, que telles jouissances pussent se trouver en Nouvelle-France. Mai il restait à ces dignes croquants et croqueurs l’opportunité de grossir leur magot et de retourner, un jour, en Europe pour y finir le plus joyeusement possible leur existence crapuleuse.

Donc, en pénétrant dans la demeure de l’intendant, Mme de Ferrière et Mlle Héloïse de Maubertin, qui d’ores et déjà connaissaient par ouï-dire tout le faste que déployait M. François Bigot, demeurèrent très surprises et troublées devant le luxe écrasant que les enveloppait. Ce trouble naissait plutôt de la réputation libertine que s’était acquise M. Bigot par un étalage de femmes aux mœurs douteuses qui complétaient l’étalage de son luxe. Et ce trouble ne leur était pas venu plus tôt ; leurs soucis et leurs chagrins avaient voilé leur souvenir des choses qui leur avaient été dites sur le compte de l’intendant. Et puis Flambard était survenu si soudainement avec sa mission concernant les affaires du comte de Maubertin, que Mme de Ferrière et Mlle de Maubertin n’avaient pas eu le temps de la réflexion. Aussi au moment, où elles entraient dans cette maison dans laquelle régnait une atmosphère qui frappait les sens d’une sensation bizarre, ces deux femmes honnêtes éprouvèrent-elles l’impression qu’elles venaient de pénétrer dans un bouge de haute envolée. Le premier instinct, à cette pensée, fut un instinct de recul et de fuite ; mais cette mission si importante et si urgente que leur avait confiée Flambard ! Elles tressaillirent, mais aussitôt l’image du comte de Maubertin se présenta à leur esprit pour les rassurer. Et puis, eussent-elles voulu retraiter qu’elles ne l’auraient pu faire : car François Bigot apparaissait déjà dans le parloir, tout