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la belle de carillon

était sortie de son abri pour tâter le terrain, et l’on en déduisit que l’ennemi allait bientôt donner le grand choc. Une chose certaine, les Anglais ne songeaient pas à prendre le camp français par surprise, ils savaient fort bien que l’armée française demeurait sur le qui-vive.

D’un pied confiant, en effet, Montcalm attendait l’offensive ennemie. Ce matin-là encore il avait parcouru son camp et constaté avec plaisir qu’il pourrait résister avec avantage au heurt des armées anglaises. Il était certain, non de gagner une victoire éclatante, mais d’empêcher l’ennemi de passer ; d’ailleurs, devant des forces ennemies aussi supérieures par le nombre, il n’avait d’autre dessein que d’empêcher et décourager les entreprises des Anglais.

Ceux-ci, très confiants dans leur nombre, donnèrent le premier choc vers les onze heures de matinée, et ce fut contre l’aile gauche commandée par Bourlamaque que fut tenté ce premier effort.

Le général anglais Abercromby avait poussé contre Bourlamaque près de huit mille hommes que protégeaient, dans leur avance, des batteries flottantes qui avaient été remorquées sur la rivière La Chute au cours de la nuit précédente. La colonne avançait avec ses musiques et en bon ordre malgré les difficultés de la marche. Des troupes légères, armées de haches, précédaient la colonne, et aux accords des musiques les haches s’élevaient, sifflaient, traçaient un chemin. Dans le vent les bannières claquaient fièrement, les baïonnettes étincelaient dans la lumière ardente du soleil, des régiments entonnaient des airs guerriers et joyeux et, en un autre moment, on aurait cru voir défiler une armée à la parade. Avant d’être l’armée de la défaite, elle apparaissait l’armée de la victoire. Il n’y a pas de doute que les Anglais, connaissant les forces presque méprisables de Montcalm, croyaient marcher et à la victoire et à la conquête du Canada entier. Mais lorsque la colonne voulut s’engager sur les pentes douces qui aboutissaient au camp de Bourlamaque, celui-ci commanda le feu : les batteries françaises se mirent aussitôt à cracher fer et flamme. Durant dix minutes un déluge de projectiles de toutes espèces s’abattit en plongée sur les rangs serrés des Anglais. Mais les rangs se disloquèrent, d’immenses vides s’y firent, et ce fut bien pire, après le feu français, lorsque Valmont et Bertachou, à la tête de leurs Canadiens, s’élancèrent dans le flanc de la colonne. Pendant près d’une demi-heure il se produisit un pêle-mêle indescriptible, et la colonne ennemie fut brisée tout à fait, réduite en tronçons qui bientôt s’éparpillèrent en tous sens. Les Canadiens étaient survenus à l’improviste et à temps pour mettre le désordre et semer la mort dans la magnifique colonne qu’on avait admirée dans sa marche tout à l’heure.

Mais déjà une deuxième colonne forte de cinq mille combattants menaçait le centre. Or, ce centre était surtout protégé par les miliciens de Valmont qui abandonnèrent, en face de ce nouveau danger, la colonne en déroute pour revenir dans leurs ouvrages et attendre la deuxième attaque ennemie.

Mais que pouvaient trois cents Canadiens seulement contre une armée bien équipée de cinq mille hommes ? C’est pourquoi Montcalm dépêcha à Valmont M. de Saint-Ours avec 600 miliciens. Ainsi renforcé le capitaine Valmont pouvait recevoir d’un pied ferme les Anglais. Mais ceux-ci, pour atteindre les ouvrages des Canadiens, durent s’engager dans un champ d’abatis qu’il n’était pas facile de traverser. Les arbres avaient été renversés pêle-mêle, les uns par-dessus les autres, entrecroisés en tous sens, et d’une hauteur variant de cinq à six pieds. Ensuite, les branches avaient été coupées à environ un pied du tronc et aiguisées comme des flèches, de sorte que cette énorme étendue d’arbres abattus ressemblaient à d’innombrables chevaux de frise. Aussi, put-on voir les premiers bataillons anglais s’empêtrer sur ces pointes acérées qui les déchiraient. Ils n’avançaient que très lentement et sans pouvoir conserver l’ordre de leurs rangs. Montcalm profita du moment pour les faire mitrailler par ses canons. Le désordre, alors, se mit tout à fait dans les rangs de ces bataillons qui, après une avance de cinquante verges environ, durent retraiter en hâte pour éviter d’être réduits en charpie. Ce fut une bousculade monstrueuse au travers des « chevaux de frise », et une grande quantité de soldats demeurèrent dans les abattis morts ou grièvement blessés. Et, peu après, lorsque cette armée se fut retirée à l’orée des bois dans le dessein de refaire