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la belle de carillon

qui refermait doucement la porte par laquelle Mme Desprès s’était enfuie.

Elle était tout aussi pâle que sa mère, cette pauvre Isabelle. Et elle tremblait… Ses pas, tandis qu’elle s’approchait de Valmont, étaient incertains ; pour un peu on aurait pensé qu’elle chancelait. Dans sa longue robe noire d’intérieur, avec ses pieds enfouis dans des mules de soie blanche qui ne faisaient aucun bruit sur le parquet, elle avait un peu l’air d’une apparition fantomatique.

Valmont demeura si troublé qu’il ne sut trouver aucune parole pour expliquer sa présence. La jeune fille d’ailleurs savait à quoi s’en tenir. Elle dit avec un air chagrin :

— Ma mère m’a fait part de ce qui vient de se passer entre vous et elle. Je suis bien surprise et peinée d’apprendre que vous ayez soupçonné ma mère d’un complot que je réprouve autant que vous. Et je vous félicite en même temps de vouloir trouver les coupables pour venger la mort de votre ami, et si vous le voulez je vous aiderai dans votre tâche. Car j’estimais beaucoup Monsieur d’Altarez, sans l’aimer, ainsi que je vous l’ai dit un soir.

— Ce soir où d’Altarez nous vit ensemble, Mademoiselle ?

— Oui. Si je n’aimais pas votre ami et si je ne pouvais l’aimer, c’est que j’en aimais un autre… un autre que j’aime toujours, mais qui, je le crains, ne m’aime point. Est-ce ce sentiment d’amour qui m’a fait deviner de suite que l’attentat, dont vous voulez trouver les auteurs, avait été préparé non contre le capitaine d’Altarez, mais contre un autre officier ?

— Est-ce cet « autre » que vous aimez ? demanda Valmont d’une voix si tremblante que la jeune fille en témoigna de la surprise.

— Oui, Capitaine. Oui, celui dont on avait tramé la mort était bien celui que j’aime en secret. Oh ! si on l’avait tué, j’en serais peut-être morte ! Et puis j’avais eu le pressentiment d’une tragédie pareille, si bien que j’eus peur de voir le cadavre de Monsieur d’Altarez tant je croyais que c’était l’autre.

— Vous vous êtes réjouie en voyant que ce n’était pas « l’autre ? »

— J’ai remercié le Ciel de toute la joie de mon âme.

Malgré le peu de clarté qui régnait dans la pièce Valmont pouvait voir assez distinctement les traits de la jeune fille pour en lire leur expression. Il voyait surtout les yeux bleus qui, ce soir-là, paraissaient noirs, des yeux qui ne quittaient pas Valmont, doux et tristes, des yeux qui semblaient dire : « Comprenez donc que c’est vous que j’aime… ! » Certes, Valmont comprenait si bien qu’il en était tout désemparé. La joie faisait éclater son cœur au fond duquel, pourtant, demeurait un doute. Il entendait toujours ces mots qu’Isabelle lui avait jetés dans son évanouissement le soir précédent : « Je ne vous aime point !… » Néanmoins, il était bien près de s’élancer vers Isabelle, de la prendre dans ses bras et de lui crier à son tour tout son amour. Il était retenu par une gêne qu’il ne pouvait expliquer. Au reste, la jeune fille reprenait, toujours avec son sourire triste, mais d’une tristesse qui était encore un charme :

— J’ai dit que j’approuve votre désir de venger votre ami, ou tout au moins de livrer à la Justice les coupables de ce meurtre, et j’ai dit que je suis prête à vous prêter mon concours si vous le jugez utile. Seulement, je vous demanderai une faveur, celle de ne pas mêler le nom de ma mère à cette affreuse histoire. Je peux jurer que ma mère fut étrangère à tout cela, et c’est une abominable calomnie qu’on a inventée sur son compte. Si vous avez quelque considération, quelque estime pour moi, voulez-vous me promettre. Capitaine, de ne pas importuner ma mère ?

Il y avait des larmes si bonnes dans les yeux qui le considéraient avec amour !…

— Ah ! Mademoiselle, s’écria Valmont dont les lèvres tremblaient d’amour, vous devinez bien que je ne pourrais vous refuser quoi que ce soit. Demandez-moi tout ce que vous voudrez… mon sang… ma vie…

Il se tut rougissant. Dans sa gorge il sentit un hoquet de joie. Il eut peur d’étouffer… il eut peur de défaillir lui, homme et soldat, devant une faible jeune fille. Et mû par cette peur, il recula vers la porte et l’ouvrit pour se retirer. Isabelle le regardait avec surprise et regret, elle le regardait d’yeux d’où des larmes brillantes s’échappaient à la fin comme des gouttes de rosée. Valmont sentit ses yeux s’humecter, et il eut plus peur encore de