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la belle de carillon

Valmont, que cet accident fut la conséquence fortuite d’un guet-apens longuement mûri contre la vie d’un officier de l’armée, mais un officier qui n’était pas supposé être Monsieur d’Altarez.

Mme Desprès se mit à rire de plus belle.

— Ah ! Monsieur, reconnaissez que vous me narrez là une histoire fantastique pour le moins. Vous dites qu’il y eu crime prémédité, puis accident ou méprise, puis guet-apens et que sais-je encore ? Tout cela est fort obscur. Je doute que vous vous entendiez vous-même. Pour ma part je n’y vois goutte, et je commence à penser que vous avez fait un mauvais songe.

— Attendez, Madame, sourit narquoisement Valmont. Quand je dis guet-apens, c’est une façon de parler. Je vais tâcher d’être plus clair en esquissant quelques détails. Voici : un officier de l’armée avait été par une personne de rang donné en dépouilles à de vulgaires meurtriers. Ménager un piège spécial était dangereux, et mieux valait guetter l’occasion. J’ajoute que, naturellement, cet officier dont je parle a dû être épié ainsi que le fut Monsieur d’Altarez, car je dois écarter le pur hasard. Or, il arriva que d’Altarez voulût avoir un entretien avec son ami, l’officier en question, et il choisit un endroit que les assassins jugèrent fort propre à leur exploit. Mais là j’accorde que le hasard y mit du sien, car les balles des meurtriers destinées à l’officier, que je n’ai pas nommé, atteignirent d’Altarez. N’y a-t-il pas là guet-apens contre cet officier que je n’ai pas nommé, je répète, et accident pour le capitaine d’Altarez ? Voyons, est-ce assez clair ?

— Pas tout à fait. Il reste un point obscur : cet officier « que vous n’avez pas nommé ? »

— Mon Dieu ! Madame, vous savez bien, puisque cet officier est devant vous !

Mme Desprès tressaillit et pâlit. Mais elle sut garder son sang-froid. Elle répliqua, moqueuse, mais sans trop d’assurance cependant :

— Vraiment, Monsieur, voilà la plus belle fable que j’aie entendue de ma vie. Vous avez une certaine imagination, même un peu trop, ce pour quoi je ne saurais vous féliciter.

— N’oubliez point, Madame, que l’imagination est un des véhicules qui conduisent à la vérité. En tout cas, il est certain, puisqu’il importe de jouer maintenant franc jeu, que vous aviez un mobile pour me faire disparaître.

— Et lequel, s’il vous plaît ?

— Mon Dieu ! la vengeance… oui la vengeance, Madame. C’est bien ainsi que le général interprète cette affaire.

— Le général… balbutia Mme Desprès en se troublant visiblement.

— Parfaitement. Le général et moi, après un court entretien, avons reconnu que c’était là un acte de vengeance de votre part.

— Contre d’Altarez ?…

— Mais non… contre moi.

— Alors le général sait…

— Tout, Madame.

Mme Desprès se leva soudain de son siège, jeta une sourde exclamation d’épouvante et courut à la porte qui donnait dans son salon.

Valmont aurait voulu la retenir, mais il n’en eut pas le temps : Mme Desprès ouvrit la porte, en franchit le seuil et la referma avec violence derrière elle. Le capitaine demeura un moment fort décontenancé. Il était là seul. Le plus grand silence régnait dans l’habitation. Poursuivre Mme Desprès était impossible ; au reste il comprenait qu’il n’avait plus rien à faire avec cette femme. Il ne lui restait donc qu’à s’en aller. Alors lui revint le souvenir d’Isabelle, et il regretta cette démarche qui le rendait peut-être ridicule. Mais n’avait-il pas voulu savoir pourquoi et comment d’Altarez avait été assassiné ? Ou, encore, qui avait été l’instigateur de ce complot ? Mais Valmont, tout en se voyant plus raffermi dans ses soupçons, ne pouvait tout de même pas jurer que Mme Desprès avait inspiré et dirigé l’attentat. Il se trouvait donc vis-à-vis du même point de départ ou à peu près.

Il demeura méditatif et indécis durant quelques minutes. Puis, voyant qu’à demeurer là seul plus longtemps il courrait le risque de passer pour un intrus, il se dirigea vers la porte de sortie. Là, soudain, une voix timide et éplorée arriva jusqu’à lui.

— Capitaine, demeurez un instant…

Il frémit. La voix qui résonnait derrière lui, toujours musicale et harmonieuse dans sa détresse, était bien celle d’Isabelle.

Il se retourna et aperçut la jeune fille