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plus, il se trouvait à demi masqué par un rideau de jeunes pousses et d’arbustes.

Autant que le capitaine Valmont put juger, ce détachement ennemi n’était pas très nombreux ; ce n’était probablement qu’une avant-garde. Curieux de savoir exactement à quelle force il avait affaire, il décida immédiatement de faire une sortie. On avait ménagé entre les abatis et la Rivière La Chute une sorte de couloir qui, des premières défenses, gagnait les fourrés voisins, de sorte qu’il était possible d’aller sans danger reconnaître l’ennemi. Valmont prit cent hommes avec lui, en donna cent autres à Bertachou et sur deux hommes de front la petite troupe s’engagea dans le couloir et marcha sans bruit vers la forêt. L’ennemi ne pouvait les voir venir, et si ce détachement anglais n’était pas en nombre, Valmont pourrait faire un léger détour sous bois et prendre le détachement par en arrière et par surprise. Après vingt minutes de marche les Canadiens atteignirent la lisière des bois ; mais là une surprise les attendait : en effet, Valmont et ses cent hommes se heurtèrent soudain à un autre détachement ennemi dissimulé près des abatis. Reculer, c’était s’exposer à se faire hacher par les balles des Anglais. D’ailleurs, il n’y avait pas de temps à la réflexion, car les Anglais qui n’avaient pas vu venir ces Canadiens épaulaient déjà leurs armes à feu après la première surprise.

Valmont jeta un ordre retentissant :

— Canadiens, en avant !…

À cet instant Bertachou arrivait avec ses hommes. Les Canadiens déchargèrent les premiers leurs fusils et se dardèrent contre l’ennemi le chargeant à la baïonnette. L’attaque fut si subite que les Anglais n’eurent pas le temps de riposter par le feu de leurs armes, et une courte lutte corps à corps s’engagea au travers des arbres. Comme on ne pouvait se battre masse à masse, on se prenait homme à homme. Les Canadiens poussaient de tels cris et de telles clameurs que les échos du matin répercutaient de toutes parts sous la forêt, qu’on eût pensé qu’ils étaient là des milliers. Les Anglais, saisis de peur, se mirent à fuir dans toutes les directions de la forêt mais le plus grand nombre vers le Lac Saint-Sacrement. Certain de n’avoir affaire qu’à une petite avant-garde Valmont donna ordre de les poursuivre à outrance. Plusieurs Anglais avaient déjà succombé sous les coups et les balles des Canadiens qui, eux, n’avaient pas encore perdu un seul homme. C’était encourageant. Aussi, Valmont n’eut pas de peine à les lancer, lui en tête, contre la troupe en fuite. Mais cette course à travers le bois ne dura pas longtemps. Valmont trouva devant lui au bout d’une demi-heure Bertachou qui, avec ses hommes, avait pris par la droite pour aller assaillir le premier détachement ennemi qu’on avait aperçu à l’orée du bois.

— Holà ! capitaine, cria le lieutenant, n’allez pas plus loin, nous donnons dans un piège !

Et brièvement il expliqua qu’une nombreuse armée ennemie était en train de prendre ses dispositions pour envelopper les Canadiens et marcher ensuite contre le camp retranché de l’armée française. Valmont, nous l’avons dit, n’était pas un téméraire ; aussi donna-t-il aussitôt l’ordre de la retraite.

Revenu dans ses retranchements, Valmont dépêcha immédiatement un sous-lieutenant à Montcalm pour l’instruire de l’incident et l’informer que l’armée ennemie s’apprêtait à marcher contre le camp.

Toute l’armée française était déjà sous les armes et prête au combat, et Montcalm attendait justement le rapport de Valmont.

Or, tandis que les Canadiens se jetaient contre les Anglais sous la forêt, Bourlamaque, qui commandait l’aile gauche de l’armée et dont les retranchements dominaient la rivière La Chute, avait envoyé des éclaireurs pour s’enquérir des événements qui se passaient. Une heure après la rentrée des Canadiens dans leurs retranchements, Bourlamaque était informé par ses éclaireurs que, outre une très grosse armée ennemie campée sur les rives du Lac Saint-Sacrement, une autre armée ennemie qu’ils estimaient à cinq ou six mille hommes s’avançaient par voie de terre pour venir faire sa jonction avec la première. Plus que jamais l’on croyait bien avoir affaire à une armée anglaise de pas moins de vingt mille hommes.

Comprenant que l’ennemi n’était pas encore prêt à donner l’attaque, Montcalm ordonna de terminer les ouvrages du camp. À Valmont et à ses Canadiens, il commanda d’inquiéter l’ennemi chaque fois qu’il