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la belle de carillon

dois aucune explication, et sachez bien surtout que vous n’avez aucun droit sur ma personne.

Cette fière réponse parut confondre d’Altarez. Il se troubla visiblement. Et, sans perdre tout à fait son accent railleur, il répliqua :

— Au fait, suis-je un peu sot ! Mademoiselle n’est ni ma fiancée, ni ma maîtresse, ni ma femme !

— D’Altarez… cria Valmont avec colère.

— J’ai fini déjà, mon cher ami, écoute seulement une seconde, poursuivit d’Altarez sur un ton de défi. Je ne veux nullement m’imposer en intrus dans vos… Enfin, je reconnais n’avoir aucun droit sur mademoiselle. Oui, je suis un sot. Je ne voyais pas non plus… je ne savais pas voir, j’étais aveugle. Quand on croit à l’amitié comme à l’amour, on fait aisément de ces erreurs ; on est dupe à son insu parce qu’on s’est trop grisé d’espérances illusoires… Mais que dis-je ?… Allons ! je me retire. Allez votre chemin, mes amis, je suis un véritable sot !

Il jeta un éclat de rire sardonique et s’enfuit. En quelques bonds il avait disparu. Valmont et Isabelle demeurèrent un moment troublés et muets.

— Monsieur le Capitaine, murmura Isabelle rompant le silence, je crois bien que la mission dont je vous ai chargé est accomplie, c’est-à-dire qu’il me paraît inutile d’aller trouver votre ami pour l’inciter à renoncer à ses projets de mariage avec moi. Si, avant mon départ pour Montréal, il se présente au fort, ce dont je doute, je lui donnerai volontiers l’explication qu’il paraît désirer.

— Je veux bien me soumettre à vos désirs, Mademoiselle, mais il importe maintenant que j’aille chez d’Altarez, non pour lui parler de vous, mais de moi. Mon amitié pour lui me le commande. Il a conçu à mon égard, je pense, des soupçons que je ne veux pas laisser subsister. D’ailleurs, demain d’Altarez comprendra mieux sa sottise, surtout quand je lui aurai parlé. Et comme je le connais pour un parfait gentilhomme, je suis certain qu’il vous portera des excuses.

— Non, non, je ne lui demande aucune excuse. Je serai satisfaite de savoir que vous lui aurez fait voir toute l’indignité de sa conduite ce soir.

Ils poursuivirent leur chemin en silence. Il était environ dix heures et demie quand ils se trouvèrent à la porte du fort. Ils se séparèrent en promettant de se revoir le lendemain.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsqu’Isabelle pénétra dans le boudoir de sa mère, celle-ci, très inquiète et nerveuse, attendait le retour de sa fille.

— Ah ! enfin, c’est toi, s’écria Mme Desprès avec un accent de reproche dans lequel, cependant, dominait le plaisir de revoir sa fille. Veux-tu me dire d’où tu viens ?

— Chère maman, sourit Isabelle en s’asseyant près de sa mère dont elle entoura la taille avec une filiale tendresse, faut-il que je te dise la vérité ou que je te fasse un mensonge ? Voyons, que préfères-tu ?…

— Que veux-tu dire, Isabelle ? fit Mme Desprès avec surprise. Tu parles de mensonge… m’aurais-tu déjà menti par hasard ?

— Jamais, vous le savez bien ! C’est pourquoi je ne voudrais pas vous mentir ce soir. Mais si vous prenez un air trop rébarbatif, alors…

Elle se mit à rire doucement, câlinement. Mme Desprès regardait sa fille avec un œil scrutateur et sévère à la fois, un œil qui n’était pas sans un gros brin de défiance.

Voyons, dit-elle avec quelque brusquerie, parle sans mentir ! Explique-moi… Car, je te le dis de suite, le Capitaine d’Altarez m’a quitté tout à l’heure avec un air… Ho ! un air…

— Ah ! oui, maman, un air qui ne chantait pas, je gage. Eh bien ! je suis contente de vous entendre me parler ainsi de Monsieur d’Altarez, car je pourrai vous dire toute la vérité sans qu’il m’en coûte trop. D’ailleurs, à quoi me servirait de mentir, quand je suis certaine que, pas plus tard que demain, vous serez instruite des faits réels.

La jeune fille fit une pause pour considérer la physionomie sévère de Mme Desprès, puis elle sourit d’une façon énigmatique et embrassa longuement sa mère.

— Maman chérie, dit-elle en même temps, je me suis égarée dans les bois…

— Oh !… fit la veuve avec effroi…

— Mais il n’y avait pas de danger pour moi, reprit vivement la jeune fille avec son