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la belle de carillon

née et quelque peu consternée. Pigmée qu’elle était, en effet, comment pourrait-elle résister ou arrêter la marche du géant qui marchait contre elle à grandes enjambées ?

Montcalm réunit son état-major et tint conseil. Le courage des officiers réaffermit celui des soldats, et l’émoi fut tôt dissipé. Si, à la vérité, l’armée française était petite et médiocrement équipée, elle possédait l’avantage de la position. Montcalm et ses officiers savaient que le nombre n’est pas nécessairement un facteur de victoire, et que le bon moral d’une armée, fût-elle dix fois inférieure numériquement à l’ennemi, son courage, sa discipline et certains avantages de terrain sont de bons appoints de victoire. Au surplus, l’Histoire leur avait enseigné qu’une poignée de braves peut suffire pour arrêter la marche d’une nombreuse armée ennemie et, quelquefois, la mettre en déroute. Au temps de la superbe Sparte, Léonidas arrêtait au Thermopyles la redoutable armée de Xerxès et il n’avait à sa suite que trois cents hommes. Plus près de nous voyons notre fougueux Salaberry, avec ses trois cents Canadiens, arrêter à Chateauguay et mettre en déroute une armée américaine de pas moins de sept mille hommes.

Montcalm et son armée possédaient bien l’avantage de la position, mais quand le général eut été informé que vingt mille hommes au lieu de dix mille, comme il l’avait pensé, marchaient contre Carillon, il jugea alors ses défenses trop faibles et son camp moins bien établi qu’il avait cru. Toute l’armée, en effet, avait pris position en bas des hauteurs de Carillon. Elle occupait un bas-fond où l’ennemi, à cause de son nombre, aurait pu l’assaillir et l’anéantir. Montcalm fit changer la disposition du camp, en ce sens qu’il fit retrancher son armée sur les pentes douces qui aboutissaient à la sortie du promontoire où s’élevait le Port Carillon, et il fit étendre ses deux ailes de façon à couvrir le plus de terrain possible. Dans le bas-fond il laissa trois cents Canadiens sous les ordres du Capitaine Valmont.

Donc, le reste de ce jour du 4 juillet et toute la nuit qui suivit, l’armée française se remit à l’œuvre pour refaire ses retranchements. En outre, dans le bas-fond, Montcalm ordonna de nouveaux abatis pour que l’ennemi, en sortant des bois qui bordaient le Lac Saint-Sacrement, se trouvât en face d’un vaste champ de tronc d’arbres et de branches entremêlés qu’il aurait à franchir avant de pouvoir aborder les ouvrages de l’armée française. Celle-ci, alors, des points élevés qu’elle occuperait aurait l’avantage de faire pleuvoir sur l’ennemi à découvert une grêle de projectiles susceptibles de causer de lourdes pertes. En plus, par des sorties opportunes les défenseurs du Canada pourraient non seulement, inquiéter l’ennemi, mais même le harasser. Tout bien pesé, Montcalm pensa qu’il lui serait possible, sinon de gagner une grande bataille, de malmener l’ennemi au point de le forcer à la retraite et de le décourager tout à fait dans sa tentative de marcher jusqu’à Montréal.

On sait, depuis, que Montcalm voyait juste et que ses prévisions furent tellement dépassées que l’action de son armée fut un prodige.

À présent que notre lecteur possède une assez bonne vision du camp français, nous reviendrons aux faits et gestes de nos principaux personnages.

Au cours de cet après-midi du 4 juillet, et plutôt sur le déclin du jour, au moment où le Capitaine Valmont, pour obéir aux ordres venus de l’État-Major, mettait ses hommes à l’œuvre pour pousser plus loin le champ d’abatis, un soldat de la garnison vint lui remettre un message, disant :

— Capitaine, j’ai ordre de rapporter une réponse à cette missive.

— De qui cette missive ? interrogea le capitaine en ne découvrant sur le pli aucune souscription et rien qui pût le renseigner sur le nom de la personne qui lui écrivait.

— De Mademoiselle Desprès, répondit le soldat.

Valmont était si peu préparé à ce nom qu’il trembla d’une émotion inquiète et joyeuse à la fois. Il n’avait pas revu Isabelle depuis le matin de l’enterrement du Commissaire Desprès, c’est-à-dire depuis deux jours, mais il n’avait pas cessé de songer à elle, bien qu’il fît mille efforts pour chasser un souvenir et une image qui l’obsédaient. Car, croyant qu’Isabelle aimait d’Altarez, l’amitié qui le liait à ce dernier lui interdisait de penser à cette séduisante jeune fille. Et Valmont n’avait pas davantage revu d’Altarez qui, depuis l’affaire du duel, dépensait tous ses loisirs auprès de la veuve et de l’orpheline. Au