Page:Féron - La belle de Carillon, 1929.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
la belle de carillon

rable assemblée, à la place du Capitaine, n’aurait pas marché au terrain ? Qui aurait voulu passer pour un lâche ? Pas moi certainement, sacrediable !

Et pour mieux appuyer son affirmation Bertachou tira sa longue rapière et fit un grand geste de pourfendeur, qui ne manqua pas de faire naître des sourires parmi les officiers.

Montcalm à nouveau demanda à Mme Desprès :

— Est-ce bien ainsi, Madame, que les choses se sont passées ?

— Oui, général, avoua encore la veuve qu’Isabelle avait rejointe et qu’elle soutenait.

Le général regarda ses officiers et dit :

— Messieurs, jusqu’ici aucun blâme dans cette affaire ne saurait être imputé au Capitaine Valmont. Mais reste à savoir comment les choses se sont passées sur le terrain.

Alors d’Altarez narra comment le Commissaire, à l’ordre d’engager les fers, s’était brusquement jeté contre l’épée de Valmont et s’était de lui-même enferré.

Et cette déclaration fut confirmée par Bertachou et les deux officiers qui avaient servi de seconds au Commissaire Desprès.

— Messieurs, reprit Montcalm d’une voix nette en s’adressant à ses officiers, la conduite du Capitaine Valmont est irréprochable sur le terrain, et il ne saurait être tenu responsable de la mort du Commissaire Desprès.

Tous les officiers approuvèrent d’un signe de la tête cette décision du général.

— Capitaine Valmont, ajouta Montcalm, reprenez votre épée !…

Bertachou courut au Capitaine pour lui serrer la main et le féliciter. Puis tous les officiers s’empressèrent à leur tour d’offrir leurs félicitations au Canadien. D’Altarez vint le dernier.

— À toi aussi, d’Altarez, s’écria Valmont, je dois un devoir de gratitude.

— Non ! Non ! Valmont, tu ne me dois rien, et je ne revendique rien. Mais si tu dois quelque chose, mon ami, c’est peut-être surtout à celle-là…

Et il indiquait Isabelle qui, seule maintenant, car Mme Desprès, confuse et humiliée, venait de se retirer discrètement, oui, Isabelle qui regardait Valmont d’yeux humides et attendris.

Valmont alla à elle.

— Ah ! Capitaine, dit-elle, je suis contente que justice vous ait été rendue !

— Cette justice, dont je ne doutais pas, Mademoiselle, je vous la dois à vous plus qu’à tout autre. Aussi, permettez-moi de vous réitérer mes regrets de n’avoir pu éviter cette fatale rencontre. Au reste, j’avais compté sur vous. C’est pourquoi, à sept heures, j’étais à la porte du fort pour attendre de vous ce message qui m’aurait informé que la rencontre n’aurait pas lieu. Mais rien n’est venu.

— Hélas, Capitaine, mon père n’a voulu rien entendre.

— S’il en est ainsi, j’espère bien que vous tiendrez compte de mes bonnes intentions et de mon désir que j’avais de ne pas donner suite à l’affaire. Et permettez-moi d’ajouter que, dans la dure épreuve qui vous atteint, je vous offre, à vous et à votre mère, un dévouement sans bornes. Si un jour il arrivait que vous eussiez besoin d’un bras pour vous secourir, le mien vous est acquis et à quelque heure que ce soit. À votre appel, Mademoiselle, ou à celui de votre mère, j’accourrai, et si j’ai commis une faute dans cette malheureuse affaire, ce me sera une opportunité de la réparer.

Et Valmont s’inclina aussitôt pour se retirer.

Isabelle le retint.

— Pardon, Monsieur, un mot encore. Je sais que vous êtes un homme de cœur et je prends votre parole comme une promesse. Il est donc entendu que je vous appellerai le jour où je pourrai avoir besoin de vos services.

Et sans plus, mais avec le plus beau sourire au capitaine, elle pirouetta et quitta la salle d’armes pour aller rejoindre sa mère.

En se retournant pour quitter les lieux à son tour Valmont se trouva face à face avec d’Altarez.

— Mon cher ami, dit-il, sois heureux d’être aimée par cette jeune fille… c’est un ange ! Oui, d’Altarez, c’est un ange !…

Et Valmont serra la main de son ami avec force.

— Mon cher Valmont, répliqua d’Altarez, je te l’ai dit : je ne sais pas si elle m’aime. Mais demain, peut-être, je le saurai…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les funérailles du Commissaire Desprès