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la belle de carillon

près a insulté le capitaine Valmont, et je le répète, sacrediable ! Voyons ! qui me contredira pour tout de bon ?

— Moi ! répliqua Peyrolet sur un ton agressif.

Bertachou éclata de rire.

— Sais-tu, mon petit Peyrolet, que tu deviens très drôle ? Ah ! ah ! tu as pensé que j’allais me choquer ? Toi, me faire choquer ? Essaye, je t’en défie et je te fais mentir comme un porc qui a le bedon plein ! Voyons paye-moi à boire, canaille !

— Ne m’injurie pas ! cria le lieutenant Peyrolet avec un geste de colère.

— T’injurier ! fit Bertachou avec dédain. Depuis quand a-t-on vu qu’on peut injurier les jeunes gorets qui goinfrent dans leur auge ?

Un formidable éclat de rire partit de cent poitrines, et des applaudissements appuyèrent Bertachou.

— Holà ! vous autres… clama tout à coup Patte-de-bois, allez-vous cesser votre vacarme ? Savez-vous pas qu’un mort est sur les planches et que sa veuve et son orpheline pleurent à chaudes larmes ? Pas si fort… pas si fort !

— C’est bon, c’est bon, Patte-de-bois, répondit Bertachou. Mais si tu veux qu’on soit sages, apporte du vin… mais du vin de France, sacrediable !

— Va au diable, Bertachou, tu n’as pas d’argent pour payer ! riposta Patte-de-Bois qui, avec le cantinier, était partisan de Desprès et, par suite, de Peyrolet.

— Hein ! qu’oses-tu dire, Patte-de-Bois. N’ai-je pas ma solde sur quoi te faire un bon ?

— Ah ! oui ! un bon pied-de-nez ! ricana Patte-de-Bois. Non ! Non ! C’est de l’argent ou de l’or, sinon…

Patte-de-Bois acheva sa pensée en sifflant narquoisement une gamme.

Bertachou eût été bien sot de se fâcher. Était-ce la faute à Patte-de-Bois s’il n’avait pas d’argent ou d’or ? Non, pas du tout. Aussi bien, Bertachou ne se fâcha pas le moindrement, et pour le prouver il se mit à rire placidement.

À ce moment un capitaine d’infanterie, qui détestait Peyrolet, s’approcha et dit d’une voix haute pour être entendu de tout le monde :

— Si Bertachou n’a pas d’argent, moi j’en ai et je paye… Voici de l’or, ajouta-t-il dans un geste libéral.

Et, en effet, ce capitaine jetait négligemment sur une table une poignée de pièces d’or.

— Oh ! oh ! oh !… fit Bertachou avec admiration. Vous connaissez donc, Capitaine, le secret des coffres de l’honnête Varin, trésorier-royal !… S’il en est ainsi, à l’ordre, Patte-de-Bois, Monsieur le Capitaine paye !

— Et je paye pour tout le monde, reprit l’officier, sauf, bien entendu, pour ces gens-là !

Et du doigt il désignait Peyrolet et ses gens.

— Merci, Capitaine, répliqua Peyrolet avec mépris, de nous reconnaître pour des gens qui ne boivent point au dépens des autres. Dans les cantines, les tavernes et les auberges il y a toujours assez de pique-goussets et de ronge-tables… Non, merci, bien, je n’en suis pas !

Bertachou prit pour lui cette allusion, et il ne put maîtriser cette fois ses nerfs déjà tendus.

— Ah ! ça, Peyrolet, s’écria-t-il, tu deviens impertinent tout à fait. Faut-il que je te colle ma lame ?

En même temps il exécuta un bond de géant jusqu’à Peyrolet, tira sa rapière et la fit siffler sous son nez.

Un chahut se produisit : plusieurs soldats et miliciens se jetèrent sur Bertachou pour le calmer et l’empêcher d’engendrer bataille. Mais le lieutenant de Valmont repoussa ses amis en demandant d’un air de défi :

— Hé ! là ! qui empêchera, voyons, Bertachou de venger l’honneur de Bertachou ? Suis-je un muflard ou un soldat… un vrai soldat ? Dites, vous autres ! Et qui encore m’empêchera de glisser une correction à ce crocheteur de Peyrolet ? Il semble que les jeunes coqs s’émancipent trop tôt dans ce Nouveau-Monde ! Par l’enfer ! il n’y a plus d’hommes ! Les freluquets et les éphèbes bourdonnent autour de nos ouïes comme des moustiques, voire qu’ils nous mordent même ! Ah ! ça, est-ce qu’on nous prend pour des saints de plâtre qui font la sourde oreille et qui se laissent gratter la plante des pieds sans rien dire ! Ah ! non, pas Bertachou… Trop vieux… On a roulé sa bosse, quoi ! On sait ce qu’est le monde ! Avec des princes, on est prince, on a la gueule torchée ! Mais avec des gorets comme ce Peyrolet et des cochons